Max Frisch enflamme Cape Town
Créé, début septembre, avec beaucoup de succès en Afrique du Sud, «Monsieur Bonhomme et les incendiaires» est actuellement en tournée suisse.
La célèbre pièce du grand dramaturge zurichois, jouée par des Noirs et des Blancs, gagne en actualité et en efficacité.
L’armada de pompiers que le metteur en scène Mark Fleishman a réunie sur le plateau n’aura pas raison du feu allumé par Max Frisch dans «Monsieur Bonhomme et les incendiaires». Car ce feu prend ici tout son sens métaphorique et demeure, à ce titre, inextinguible.
Rares sont les pièces contemporaines qui, 50 ans après leur écriture, trouvent un contexte propice à leur épanouissement. Et lorsqu’elles le trouvent, cela veut dire que leur auteur est visionnaire et que la portée de ses textes est universelle.
Frisch à Cape Town
Voici donc «Monsieur Bonhomme» traversant les mers, direction Afrique du Sud où, à en croire Mark Fleishman, Max Frisch est inconnu. Où pourtant la pièce ameuta le public sud-africain lorsque le metteur en scène la créa en septembre dernier à Cape Town. Ville où il vit et où il a fondé son Magnet Theatre.
C’est que là-bas, chez lui, l’apartheid, même aboli, divise encore la population en riches et pauvres, alimentant ainsi le brasier des inégalités sociales. En lisant donc la pièce de Frisch, Mark Fleishman découvrait un sujet brûlant «parfaitement assorti à la réalité de son pays», confie-t-il.
Mais Max Frisch est suisse. Et il aurait été dommage de ne pas associer les Helvètes à l’aventure de «Monsieur Bonhomme». D’autant que ce texte aux accents paraboliques peut aussi bien concerner la Suisse et ses habitants.
C’est que la pièce se prête à mille lectures. Si elle est intelligemment montée, elle gagne en efficacité et éclaire l’actualité d’un jour nouveau.
Monsieur Bonhomme, petit industriel riche, se plaint de l’insécurité grandissante dans sa ville où les incendies se multiplient. Il se barricade donc dans sa méfiance et s’isole grâce à des mesures de sécurité qu’il croit efficaces. Deux pyromanes finissent par tromper son inutile vigilance en mettant le feu à son grenier.
Métaphore suisse… et sud-africaine
Ami de longue date avec l’acteur et metteur en scène genevois Patrick Mohr, le Sud-Africain Mark Fleishman a donc décidé de monter son spectacle en collaboration avec le Théâtre Spirale, compagnie que Mohr dirige à Genève.
Genève justement, où «Monsieur Bonhomme» est actuellement joué par des acteurs suisses et sud-africains, avant son passage à Berne (28 et 30 octobre), puis à la Chaux-de-Fonds (2 et 3 novembre).
Le soir où nous avons vu le spectacle, la salle était comble. «Pourtant, précise Mark Fleishman, le public genevois s’est montré frileux lors des premières représentations.»
«Je croyais, poursuit-il, que la pièce aurait plus de succès en Suisse, pays à l’image de M. Bonhomme et de sa famille, toujours retranché derrière sa crainte d’un inconnu qui viendrait le saccager.»
Certes, cette lecture demeure possible. Mais ce n’est pas celle qui prime dans ce spectacle qui plonge au cœur d’un univers sud-africain. Au début, M. Bonhomme et sa femme sont joués par des Blancs.
Le couple très aisé évolue dans l’ambiance cotonneuse d’une résidence ultra-sécurisée (grillage et fil barbelé) qui fait penser à une maison sur pilotis posée sur une mer d’inquiétudes. C’est au moment où l’on croit que celle-ci va engloutir les Blancs que les rôles s’inversent.
Idée judicieuse: dans la deuxième partie du spectacle, M. Bonhomme et sa femme sont incarnés par des Noirs. La fable prend alors tout son sens. Car ce sont les Noirs qui deviennent dès lors victimes des deux pyromanes joués, quant à eux, par des Blancs. Entendez par les incendiaires d’une Afrique qui part en fumée sous le regard éteint de sa population indigène.
swissinfo, Ghania Adamo
«Monsieur Bonhomme et les incendiaires», à voir à:
Genève Théâtre de la Parfumerie, jusqu’au 24 octobre.
Berne, Schlachthaus: 28 et 30 octobre.
La Chaux-de Fonds, au Temple allemand: 2 et 3 novembre.
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