Montreux-Memphis, le rendez-vous
Memphis s’est invité lundi soir à Montreux, avec un concert des Blues Brothers et un hommage rendu à Rufus Thomas. Rencontre de deux villes qui, chacune à leur façon, ont des liens étroits avec la musique populaire du 20e siècle.
«Rufus Thomas»… le nom aura été moult fois prononcé ce lundi soir à l’Auditorium Stravinsky. Par Bonnie Raitt, qui jouait en deuxième partie de soirée. Une californienne copieusement biberonnée au blues. Sa façon de manier le bottleneck en témoigne.
Un nom prononcé également par le Blues Brothers Band, qui concluait la fête. Le BBB, mené par le guitariste Steve Cropper, un musicien qui sait de quoi il parle: il a travaillé avec Sam & Dave, Otis Redding, Wilson Pickett ou Eddy Floyd, l’homme de «Knock on Wood», invité d’ailleurs par les Blues Brothers à leur prestation montreusienne.
Rufus Thomas, un nom moult fois prononcé par ses enfants, Carla, Vaneese et Marvell, à l’occasion du concert-hommage qui a ouvert la soirée. Rufus Thomas, né en 1917 et décédé en 2001, l’un des piliers du «Memphis sound» et du fameux label Stax Records.
Ce mardi, Montreux vivait à l’heure de Memphis et les ambassadeurs de Memphis à l’heure de Montreux.
Montreux, rock city
Chaque ville à sa statue symbolique. Les Réformateurs à Genève, ou Chaplin à Vevey. A Montreux, c’est le chanteur de Queen qui est à l’honneur, Freddy Mercury, qui fut un habitué des lieux, toise chaque jour le Léman depuis le bas de la Place du Marché..
Rien ne prédestinait Montreux, petite ville au tourisme sage, à devenir une capitale de la musique. Sinon, dans les années 60, l’engagement par l’Office du tourisme d’un jeune cuisinier passionné de jazz, un certain Claude Nobs. Lequel va rapidement commencer à organiser des concerts dans sa cité.
Ainsi, la toute première prestation «continentale» des Rolling Stones a lieu à Montreux. Et en 67 naît un festival dont la renommée deviendra mondiale. En 1971, le Casino brûle alors que Franck Zappa est sur scène, événement qui donnera lieu à l’un des plus célèbres hymnes rock n’rolliens, le «Smoke on the Water» de Deep Purple, enregistré au «Grand Hôtel».
Dans la foulée de l’incroyable activisme déployé par Claude Nobs, l’installation à Montreux du Mountain Studio, tenu par David Richards, va entraîner un défilé des stars dans la petite cité lémanique. Quelques exemples? Queen, Bowie, les Stones, Iggy Pop, Chris Rea, Sting, Phil Collins, AC/DC, Led Zeppelin, Michael Jackson, Miles Davis, Ella Fitzgerald, B.B.King, Marvin Gaye…
Memphis Tennessee
Quelque chose prédestinait-il Memphis à devenir la capitale du rock? Oui et non. Entre champs de coton et champs de blé, une ville du Sud, posée sur le Mississipi. Au cœur du quartier noir, Beale Street, la rue des jeux, de la boisson, des prostituées… et donc de la musique.
Il y aura d’abord les «jug bands». Puis le blues: Howlin’Wolf, Sonny Boy Willamson, ou Rufus Thomas, justement. Un boulevard perpendiculaire à Beale Street, porte aujourd’hui son nom. Enfin, grâce au nez de l’homme d’affaire Sam Philips et de son label Sun, le rock: Elvis Presley dès 54, et Carl Perkins, Jerry Lee Lewis…
Avec les années soixante, dopé par deux nouveaux labels, «Hi records» et surtout «Stax», le «Memphis Sound» va se préciser, entre douleur blues et énergie brute de la soul. Le rythm & blues, le «R&B», à l’origine, c’est cela, et non pas le machin formaté qui nous inonde ces temps.
Montreux, petite station touristique proprette, a su importer le talent des autres et est désormais auréolée d’un vrai passé rock et jazz. Memphis, elle, a su s’inventer une musique, et donc une âme, et l’exporter aux quatre coins de la planète.
One night in Montreux
La soirée a commencé par la projection d’un extrait du concert que Rufus Thomas donna à Montreux en 1998. Il y chante son plus grand tube «Walking the Dog», que reprirent les Stones puis Aerosmith.
Puis la famille prend le relais: Marvell, le pianiste, et ses deux sœurs, les chanteuses Vaneese et Carla, celle-ci surnommée «The queen of the Memphis sound». D’autres invités prêtent leur voix à Rufus Thomas, la somptueuse Jackie Johnson ou la boule de nerf Ellis Hooks.
Soul énervée (‘Memphis Train’), ballades torrides (‘A change is gonna come’ de Sam Cooke), et dans tous les cas, section de cuivres ravageuse… on est à Beale Street!
Bonnie Raitt nous en éloignera un peu, et le Blues Brothers Band nous y ramènera, non sans avoir récupéré quelques influences de Chicago au passage. Un groupe créé par Dan Aykroyd et John Belushi, autour de Steve Cropper, avant que le célèbre film de John Landis ne soit tourné.
«Green Onions», «Peter Gunn», «Sweet home Chicago», «She caught the Katy», «Knock on Wood»… Claude Nobs et son harmonica viendront même jammer avec le BBB. La machine tourne parfaitement bien, survitaminée, mais on réalise soudain à quel point le culte voué au «Memphis sound» est figé.
De Rufus Thomas aux Blues Brothers, Montreux, ce lundi, c’était un peu le musée… Mais un musée qui aurait des «fuckin’ balls», pour parler local.
swissinfo, Bernard Léchot à Montreux
– Le 37e Montreux Jazz Festival se tient jusqu’au 20 juillet, dans les trois salles principales de la manifestation, mais également sur les quais et dans la ville.
– Depuis le milieu des années soixante, grâce notamment à l’énergie de Claude Nobs puis à la présence du Mountain Studio, Montreux est devenu un haut-lieu du rock, de la pop, du blues et du jazz.
– Lundi soir, Montreux avait la couleur de Memphis Tennesse grâce à la présence des Blues Brothers et de Vaneese, Marvell et Carla, les enfants de Rufus Thomas, l’une des gloires du «Memphis Sound» disparu en décembre 2001.
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