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Paillard – Bolex: il ne reste que le mythe

La Bolex H 16 et son projecteur: déjà des pièces de musée. swissinfo.ch

Les caméras Bolex, les platines Thorens ou les machines à écrire Hermes, symboles de produits suisses de qualité, ne sont plus qu’un souvenir.

Au château d’Yverdon-les-Bains, l’exposition «Les aventures d’une caméra vaudoise» évoque cette épopée.

Marlène Dietrich en avait une. De même que le Mahatma Gandhi, l’Aga Khan et Antoine de Saint-Exupéry. Et à la fin des années 30, les célébrités n’étaient pas les seules propriétaires d’une caméra Bolex «made in Switzerland».

Plus tard, l’avant-garde du cinéma américain a filmé avec une Bolex: Andy Warhol, Brian de Palma ou David Lynch, pour n’en citer que quelques-uns.

Que ce soit dans la jungle, dans les glaces de l’Antarctique ou dans les sables brûlants du désert, partout où il y avait un documentaire à tourner, la légendaire caméra H 16 de Bolex était de la partie.

Alors qu’il était enfant, Peter Jackson, réalisateur de la trilogie du «Seigneur des anneaux», reçut de ses parents une caméra super-8 dans le but d’éveiller sa curiosité pour le cinéma. Le jeune homme se prit tellement au jeu que pour son 21e anniversaire, il s’offrit lui-même une Bolex 16 mm.

En 1969, Fredi M. Murer réalise «Swissmade», un film qui met en scène un humanoïde dans la Suisse de 2069. Fidèle à l’esprit du temps, le robot a un enregistreur Nagra dans le ventre et une caméra Bolex dans la tête.

Mais en réalité, ce personnage – créé par l’artiste suisse H.R. Gyger, qui sera plus tard le père d’«Alien» -, aurait de la peine à trouver encore une Bolex en 2069.

Aujourd’hui déjà, les caméras Bolex appartiennent à l’histoire. Elles ont subi le même sort que pratiquement toute la mécanique de précision helvétique, montres comprises: la crise. Et même, dans le cas de Paillard-Bolex, le naufrage.

Des montres aux gramophones

En 1814, comme de nombreux bricoleurs de son époque, le jeune Moïse Paillard décide de fonder une manufacture horlogère à Sainte-Croix. Puis se reconvertit rapidement dans les boîtes à musique, très appréciées de la bourgeoisie industrielle naissante.

En 1875, Paillard emploie déjà plus de 50 personnes. Et le patron a gardé le goût de l’innovation. La crise économique de l’époque l’oblige à diversifier ses activités.

Même le Jura vaudois est touché par la vague de progrès technologique. Venue de la lointaine Amérique, la musique gravée dans la cire commence à déferler sur la Suisse. C’est ainsi que Paillard se met à construire des phonographes, puis, dès le début du 20e siècle, des gramophones.

La machine à écrire d’Hemingway

Suivront notamment les métronomes, les taille-crayons, les allume-gaz, les machines à calculer. Mais les plus gros coups sont encore à venir.

Le vieux Moïse n’est plus de ce monde et la firme se nomme désormais E. Paillard & Cie. Mais elle reste une entreprise familiale. Et les Paillard ont gardé le flair pour racheter de petites entreprises à fort potentiel de développement, ou pour engager de jeunes ingénieurs talentueux.

Ce sont quelques-uns d’entre eux qui construisent dès 1914 une machine à écrire. Neuf ans plus tard, Paillard lance la marque Hermes, qui va rapidement connaître un succès mondial.

En 1935 apparaît l’Hermes Baby, la machine à écrire portable la plus petite du monde. Ernest Hemingway ne sera pas le seul à en faire son objet fétiche. Tant au cinéma que dans la littérature, ce petit objet devient une véritable star planétaire.

La fabrique ne cesse de s’agrandir. En 1937, elle compte déjà près de 1000 employés. La même année, Paillard engage l’ingénieur Edouard Thorens, avec pour mission de restructurer et de moderniser l’entreprise.

L’homme donnera son nom à une platine qui deviendra, elle aussi, une légende. Paillard devient ainsi le berceau de la marque Thorens.

Bolex, l’apogée

C’est à cette époque que l’un des frères Paillard fait la connaissance à Genève d’un certain Jacques Bogopolsky. Etudiant en médecine, né à Kiev, il a acquis sur le tas une formation d’ingénieur et fabrique des caméras sous la marque Bolex.

Paillard rachète son entreprise et entame dès 1935 la production de la légendaire Bolex H 16, qui va rapidement conquérir le monde.

Le format 16 mm se développe alors comme sous-standard pour les professionnels. Il offre en effet l’avantage d’être six fois meilleur marché que le classique 35 mm. Les amateurs, par contre, filment en 8 ou en 9,5 mm.

Paillard-Bolex vole de succès en succès. Au milieu des années 60, l’entreprise emploie près de 6000 personnes entre Yverdon et Sainte-Croix. Au niveau mondial, ses effectifs sont de 8000 employés.

C’est l’époque glorieuse où Paillard est la plus grosse entreprise industrielle de Suisse romande.

Les méfaits du patriarcat

Malgré cela, le personnel n’a jamais été très chaud pour son entreprise. Génération après génération, les Paillard sont restés des patriarches, plutôt radins en matière de salaires.

Comme l’explique Thomas Perret, historien à l’Université de Neuchâtel: «Pour eux, les syndicats et leurs membres ont toujours été des ennemis. On n’en voulait simplement pas dans l’enceinte de l’entreprise».

Ceci pourrait être une des raisons du lent déclin de Paillard. Si les employés ne sont pas fortement attachés à leur entreprise, ils ne seront pas prêts à tout donner pour elle. «Je ne peux pas le prouver, mais c’est une hypothèse plausible», affirme Thomas Perret.

Ce qui est certain en revanche, c’est que l’arrivée de la caméra super-8 de Kodak a porté un sérieux coup à la marque Bolex. Désormais, il suffit d’insérer une cassette et de filmer. C’est proprement révolutionnaire.

Avec ses modèles 150, 155 et 160, Bolex va monter quelque temps dans le train du super-8, mais les affaires commencent à décliner.

Ce qui n’échappe pas à la concurrence. La firme autrichienne Eumig rachète alors la majorité de Paillard-Bolex et même si personne ou presque ne s’en rend compte, la fameuse H 16 n’est plus fabriquée en Suisse. Finalement en 1974, Eumig reprend définitivement la marque.

Le virage manqué

C’est l’époque où l’électronique commence à pointer le bout de son nez. Cela commence avec les montres à quartz, dont l’arrivée sonne le glas des belles mécaniques helvétiques. La crise horlogère fait alors perdre à l’arc jurassien des emplois par milliers.

Puis arrive l’ordinateur, qui relègue la machine à écrire au rayon des antiquités. En 1991, Paillard stoppe définitivement la production des Hermes. L’entreprise se contente dès lors de gérer son parc immobilier.

Enfin, la vidéo tue la caméra mécanique. Et comme si le coup n’était pas assez dur pour Paillard, le CD rend la fameuse platine Thorens obsolète.

«Sony et Phillips étaient simplement plus gros et plus forts», rappelle Fritz Kramer, qui dirigea pendant des années la production de Bolex à Sainte-Croix «Il est également possible que la structure patriarcale de la direction nous ait empêché de réagir assez rapidement aux changements de l’époque», ajoute-t-il.

Chez Paillard, on s’est accroché trop longtemps au mythe de la mécanique suisse de qualité. Même si, pour Fritz Kramer, c’est ce qui a maintenu l’entreprise à flot durant toutes ces années.

Aujourd’hui, d’ailleurs, elle n’a pas complètement disparu. Une poignée d’irréductibles continue de construire la Bolex H 16, pièce par pièce et sur commande. «Malgré tout, cette caméra reste un objet de valeur, solide et construit pour durer une vie», conclut Fritz Kramer.

swissinfo, Urs Maurer
(traduction et adaptation: Marc-André Miserez)

Jusqu’au 16 mai, le château d’Yverdon-les-Bains (canton de Vaud) accueille l’exposition «Les aventures d’une caméra vaudoise», consacrée à l’histoire de la marque Bolex.

– 1814: Moïse Paillard ouvre un atelier d’horlogerie à Sainte-Croix (Jura vaudois).

– 1825: il fabrique ses premières boîtes à musique.

– 1889: début de la production de phonographes.

– 1904: les premiers gramophones quittent les ateliers Paillard.

– 1923: début de la production en série des machines à écrire Hermes.

– 1930: Paillard reprend la petite fabrique Bolex et se lance dans la production de machines de cinéma.

– 1932: l’entreprise fabrique ses premiers postes de radio.

– 1935: arrivée simultanée sur le marché de la Bolex H 16, de son projecteur et des premières Hermes Baby.

– 1942: apparition de la Bolex 8 mm, première caméra «de poche».

– 1963: Paillard produit ses premières platines à disques de marque Thorens.

– 1966: c’est l’apogée pour Paillard, qui emploie alors près de 8000 personnes dans le monde, dont 6000 en Suisse.

– 1969: la firme autrichienne Eumig rachète la majorité de la marque Bolex, qui devient Bolex International SA. Les fameuses caméras ne seront plus produites en Suisse.

– 1983: le catalogue Bolex ne compte plus qu’un modèle.

– 1991: Hermes stoppe la production de ses machines à écrire.

– 2004: chez Bolex International à Yverdon, une équipe de trois personnes continue à produire la H 16, artisanalement et sur commande.

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