Quand Satan mène le bal
Six cantons interdisent la danse durant certains jours fériés, tels vendredi saint et Pâques. Ce sont Neuchâtel, Uri, Obwald, Schaffhouse, Bâle-Campagne et Soleure. Appenzell Rhodes-Intérieures l'exclut même durant toute la «Semaine sainte».
Alors que le canton de Lucerne a levé cet interdit il y a un mois, le canton de Zurich le maintient en partie. Les bruyantes manifestations de plein air (danse, sport ou projections de cinéma) y restent proscrites durant les principaux jours fériés.
Dans le canton de Neuchâtel, l’interdiction s’applique sept jours durant l’année, dont le dimanche des Rameaux, vendredi saint et le dimanche de Pâques, indique Léonard Buhler, chef de l’Office du commerce. Une votation pourrait mettre fin à cette pratique. Le peuple soit se prononcer le 17 mai (référendum contre la nouvelle loi sur la police du commerce et des établissements publics).
Les cantons alémaniques concernés règlent le «Tanzverbot» dans la loi sur le repos. Il ne s’agirait donc pas d’imposer la morale chrétienne aux fidèles de toutes les croyances mais de protéger leur droit à la tranquillité.
Prohiber la danse le vendredi saint peut se comprendre car la majorité de la population considère qu’il s’agit d’un jour de deuil commémorant la mort du Christ. Il est plus étonnant qu’elle le soit aussi le jour de Pâques qui, selon la tradition chrétienne, voit Jésus ressusciter.
Plaisir satanique!
Dans les pays européens, cette interdiction frappant la danse s’enracine dans un lointain passé. Un lien entre la danse et les forces obscures s’est fait dès la préhistoire. Magiciens et sorciers dansaient alors le visage portant un masque représentant un animal ou un démon.
L’effet euphorisant, voire extatique, de la danse est stigmatisé par la suite. Ainsi Cicéron, un siècle avant l’ère chrétienne, critique-t-il notamment les danses dénudées.
L’Eglise chrétienne prend rapidement conscience que la danse attise le désir de la chair. Elle condamne donc son usage social. Au 4e siècle, Saint Augustin dénonce ces sons séduisants qui enivrent si rapidement les sens et affaiblissent l’âme. Il passe pour avoir écrit que «la danse est un cercle au centre duquel se trouve le diable lui-même.»
Au Moyen Age, jongleurs et ménestrels sont souvent considérés comme «ministres de Satan». Vers l’an 800, Charlemagne va jusqu’à proclamer une interdiction générale de danser. Cependant, son bon peuple fait de la résistance et la danse reste un divertissement très apprécié à tous les échelons de la société.
L’Eglise se résout donc à la tolérer comme un mal nécessaire. En terres protestantes en revanche, les réformateurs se montrent plus stricts: la danse y est proscrite toute l’année. Les contrevenants doivent faire pénitence. Dans les cas les plus graves, ils perdent jusqu’au salut de leur âme.
Austérité protestante
En Suisse, Genève discute d’une telle interdiction en 1539 et Berne en 1573. Les régions catholiques étant plus tolérantes dans ce domaine, les protestants vont volontiers se trémousser dans les cantons voisins.
Des ecclésiastiques publient jusqu’au 17e siècle des pamphlets dans lesquels ils considèrent la danse comme un élément du rite de l’adoration du diable. La danse est aussi un indice pour reconnaître une sorcière, en plus de l’attrait sexuel et des sortilèges.
Au-delà de la danse, il est à noter que jusqu’au 20e siècle, Pâques était l’unique jour de l’année où il était permis de rire à l’église… Les prédicateurs se devaient d’être spirituels dans les deux sens du terme.
C’était la coutume du «risus pascalis» (rire pascal) instaurée au 14e siècle mais supprimé, comme la danse, sous l’influence du protestantisme.
Maints prêtres se permettaient alors des blagues «sur ce que les époux faisaient sans témoin dans leur chambre», affirmait le réformateur bâlois Johannes Ökolampad il y a 500 ans.
Mais il aurait peut-être exagéré l’aspect grivois des plaisanteries du clergé dans le but de dénigrer ses adversaires.
swissinfo et les agences
Calvin. A Genève, le réformateur Jean Calvin a imposé au 16e siècle des règles de conduites très strictes à la population, qui était notamment astreinte à la fréquentation du culte et interdite de danse et de jeux de hasards.
Retour. Un lent retour de balancier a commencé le siècle suivant déjà. Il faudra toutefois attendre 1772 pour que la danse soit à nouveau tolérée, pour les noces et jusqu’à 22 heures. En 1785, on passera à minuit. Puis, progressivement, la danse débordera des seules noces…
En Mars. La dernière levée en date de l’interdiction de danser les jours fériés (vendredi saint, le dimanche de Pâques, le dimanche de Pentecôte, le jour du Jeûne fédéral, Noël et le mercredi des Cendres) date de mars dernier dans le canton de Lucerne début mars.
En siècles. Cette levée d’interdiction par le parlement de ce canton catholique du centre du pays met fin à une querelle qui durait depuis 1428.
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