Roches, carcasses et océan
Le photographe Francis Besson a arpenté les terres du Nord - Groenland, Norvège, Irlande, Ecosse, Canada - avec une prédilection pour les îles du bout du monde.
Le livre et l’exposition «Océan immédiat» témoignent en noir et blanc de ces voyages, entre immensité des paysages, rugosité de la matière et traces humaines.
Au premier plan, de la caillasse, sur laquelle sont étendus quelques chiens polaires. Une cahutte déglinguée. Plus loin, la mer, et des blocs de glace à la dérive, qui semblent faire écho aux chiens blancs. La mer qui se métamorphose en ciel, puisqu’on ne sait pas très bien où commence l’un et où finit l’autre.
C’est l’image que Francis Besson a choisi pour la couverture du livre «Océan immédiat». L’océan et l’immédiateté, drôle d’association, non? «C’est ce mélange assez indéfini, assez imprécis entre l’eau douce, l’eau salée, la roche, cette immédiateté… On ne sait jamais si on va rester sur terre ou passer dans l’eau, et inversement», explique le photographe.
Cet «Océan immédiat» est à découvrir dans un vaste et somptueux ouvrage. Ainsi que dans le cadre de l’exposition que propose la Galerie E.S.F – Espace Saint-François, à Lausanne, jusqu’au 25 février.
Francis Besson voyage, beaucoup. Au Sud comme au Nord. Au fil des ans, les images qu’il a ramenées du Nord ont trouvé leur cohérence, dit-il. Car «ces régions se ressemblent par beaucoup de traits. La rudesse du climat, la pauvreté, les grandes difficultés des pêcheurs».
Les îles sont largement représentées dans l’ouvrage: Skye, Féroé, Orcades… «Ce sont les régions oubliées de ces régions. C’est là que les progrès – qui n’en sont souvent pas – arrivent en dernier, c’est là qu’on trouve le plus d’authenticité chez les gens, on est toujours bien accueilli. Le tempérament insulaire me plaît beaucoup.»
Traces d’humanité
«Océan immédiat», un ouvrage à préoccupation sociale? Loin de là.
Il y a très peu de silhouettes humaines, dans le livre de Francis Besson. Et pourtant, l’humain est partout, ou presque. A travers ces carcasses de bateau qui jonchent les pages et les plages. A travers cette voiture bouffée par les algues du Connemara. Ces tombes usées par le vent de l’île de Skye. Ou ces maisons déglinguées, un peu partout.
Les traces des gens plutôt que les gens eux-mêmes: «J’ai trouvé que l’évocation était plus forte. Ce n’est pas du tout un travail social, c’est vrai. C’était une démarche d’immersion dans ces régions, par la dureté du climat, la dureté de vivre. C’est par amitié que j’ai fait ces images, parce que, malgré la pauvreté, la dureté, c’est extrêmement beau», explique Francis Besson.
Les traces humaines sont donc là, posées sur la pierre, la lande ou la mer, gravées dans la nature. Une nature que le photographe fixe en jouant à la fois de l’immensité des paysages et du grain des choses – rochers, rouille, cordage, vagues. Jeu sur les textures.
«J’aime beaucoup les matières. Cela permet un autre regard. On est dans le fin, l’immédiat, tout en étant dans des paysages qui n’ont pas de limites. J’aime beaucoup ce jeu. En tout cas, cela attire mon regard et j’essaie de fixer cela», constate Francis Besson.
Romantisme en noir et blanc
Parfois, Francis Besson est à la limite de l’esthétisme. Il en évite pourtant l’artifice grâce à la rugosité, la robustesse de son sujet. Et par l’ambiance de fin du monde qui s’en dégage.
Car parmi les masses sombres de la roche, les traces humaines paraissent parfois terriblement désincarnées. Une distanciation amplifiée par le choix de l’image en noir et blanc, à l’impression parfaite.
Dans le «Prélude» qui ouvre le livre, le fils du photographe parle de «traces du quotidien qui, partout ailleurs, apparaîtraient comme une exagération».
Ces traces de l’humanité du 20ème siècle – du chalutier à la grue en passant par la pompe à essence – tiennent ici le rôle que la ruine médiévale jouait pour les romantiques du 19ème siècle, eux qui appréciaient tant l’excès.
Dans sa préface, Christophe Brandt, directeur de l’Institut suisse pour la photographie, évoque quant à lui le «désespoir métaphysique» des images de Francis Besson. «C’est vrai que je ne suis pas très optimiste sur beaucoup de choses, notamment sur la perspective et l’action des hommes sur la Terre. Et puis… c’est un terme assez joli!» admet le photographe.
Retour aux images… Mainland, Iles Shetland. Au premier plan, sous un ciel lourd, une benne à ordure, marquée de lettres peintes au chablon: «60 North – Recycling». Devant la benne, deux chaises vides contemplent la lande infinie.
swissinfo, Bernard Léchot
Jusque là président d’une manufacture suisse d’horlogerie, Francis Besson choisit la photographie en 1993.
Son nouveau choix de vie l’amène désormais «à parcourir la planète à son rythme, sans contrainte, appareil de photo en mains».
Ouvrages publiés:
– «Petits suppléments d’ailleurs» (2000)
– «Quelques traces d’ailleurs» (2001)
– «Regards d’ailleurs» (2002)
– «Océan immédiat» (2006)
«Océan immédiat», de Francis Besson, est publié aux éditions in folio, à Gollion.
132 pages, relié cartonné, format 30 x 30 cm.
Textes en français et en anglais.
L’exposition est à voir à la galerie E.S.F – Espace Saint-François, à Lausanne, jusqu’au 25 février.
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