Sina et Stucky présentent un ovni alpestre
Les chanteuses Sina et Stucky ont présenté mardi leur spectacle au Cully Jazz Festival. Dépouillé mais délirant, avec juste deux voix, un tuba, des boucles électroniques et des films vidéos fantastiques.
Les deux artistes ne manquent ni de tempérament, ni d’humour.
Sina, star de la pop suisse-alémanique et Erika Stucky, chanteuse de jazz à la carrière internationale sont encore fort méconnues en Romandie. Et cela malgré leur extraordinaire duo lors du spectacle d’ouverture d’Expo.02.
C’est en effet devant une salle aux trois-quart pleine qu’elles sont apparues à Cully. Dommage, car la première de Toluheischis Vorläbu (La vie passée des hautes vallées), avec ses petites imperfections avait quelque chose de décapant, une fraîcheur et une liberté de ton inattendue.
Sans parler du plaisir d’entendre ces deux voix si différentes se mêler dans une alchimie déroutante. Que le tuba du New Yorkais Jon Sass vient d’ailleurs soutenir à propos, instrument qu’Erika Stucky nomme la troisième «voix».
C’est que ces deux assoiffées d’expérimentations en tous genres, pas seulement vocales, ont osé le spectacle hybride et ouvert sur plusieurs genres. Et surtout l’humour sans complexes.
De courtes légendes valaisannes projetées en toile de fond, qu’elles commentent ou synchronisent sur scène, jouxtent des a capella sublimes, entre blues et jazz. Vers la fin du spectacle, elles ont même poussé le vice jusqu’à se fendre d’une reprise de Prince!
Plaisir communicatif
Si les deux chanteuses ont des parcours musicaux très différents, elles partagent de profondes racines haut-valaisannes. Qui de l’avis d’Erika Stucky leur ont donné cette «générosité, cette ouverture d’esprit combinée d’audace».
«C’est en réaction à la mentalité valaisanne qui est très raide. Il faut rester ouverts. Tu te coupe la main si tu te retiens de réaliser une idée, aussi farfelue soit-elle».
Et c’est donc vêtues de robes rouges brodées de bucoliques fleurettes et chaussées de gros godillots rompus aux alpages, qu’elles montent sur scène. Leur voix partent immédiatement en trilles qui rappellent fort le cri du berger rameutant ses vaches.
Brune élancée, Sina gère le sampler qui distille quelques boucles électroniques. Erika Stucky, plus ample mais pas moins brune, joue de l’accordéon. Jon Sass, aussi imposant que son tuba (il mesure plus de deux mètres) réveille lui le souffle de la terre.
Entre deux regards complices, elles chantent, dansent, causent, expliquent en plusieurs langues, dont une qu’elles ont complètement inventée. Et visiblement s’amusent beaucoup sur scène, comme le public d’ailleurs.
Vidéos délirantes
Et il y a de quoi. Quand arrive le premier film, on ouvre des yeux ébahis. Elles y apparaissent en costume traditionnel: robe noire, tablier blanc, mais à la surprise générale, affublées d’une perruque dans le style Play Mobil. Eclats de rires immédiats.
En sœurs diaboliques, elles rejouent une vieille légende fantastique. Leurs silhouettes de corbeau se découpent sur la neige entre étable et église mystique.
Elles complotent on ne sait quel sortilège. Et quand l’image s’accélère, elles ressemblent alors carrément à la Bécassine des bandes dessinées de nos parents.
Et ce n’est qu’un début. Le deuxième film, toujours de leur cru, met en scène un accouchement monstrueux et complètement délirant.
«Nous avons puisé notre inspiration dans des contes et légendes de la région. Et sachez qu’en Valais, une paysanne peut accoucher d’un poulet. Si, si! On trouve ça dans le Livre des sages-femmes», raconte, malicieuse, Erika Stucky.
Et vous pouvez compter sur elles pour forcer le trait jusqu’à l’absurde. Elles s’en donnent à cœur joie. On les voit badigeonner les jambes de la paysanne enceinte de moutarde, d’œuf, de miel, et j’en passe. Sans parler des poulets déplumés ou autres morceaux de bidoche qui sortiront de ses entrailles.
Dans une énième transformation, elles sont désormais plus comédiennes que chanteuses, c’est depuis un sofa installé sur scène qu’elles commentent le film.
Puissance des voix
Ces moments de délire vidéo, une pratique à laquelle Erika Stucky est rompue depuis deux décades déjà, alternent avec de purs joyaux vocaux. Elles explorent différents styles, jazz, yodle, «human beat box», seules, en duo ou en trio avec Jon Sass.
Mais ne cherchez pas de fil conducteur, il n’y en a point. A part certainement le plaisir qu’ont les deux jeunes femmes à chanter ensemble, à être là tout simplement sur scène où elles peuvent développer leurs idées.
«On s’est rendu compte ce soir qu’on aurait pu rester au moins quatre heures sur scène, s’émerveille Sina. On a encore tellement d’histoires à raconter!»
Quant à savoir si le spectacle est exportable, elles en sont persuadées. «C’est tellement visuel. Il suffit d’expliquer en quelques mots la trame. Et le tour est joué!».
Elles rêvent d’ailleurs de le présenter au Japon où leur excentricité pittoresque ferait, on n’en doute pas, un tabac.
swissinfo, Anne Rubin
Toluheischis Vorläbu, le spectacle de Sina et Stucky tourne à partir de fin avril en Suisse. Une tournée européenne commencera cet automne.
– Sina écrit en 1994 ses premières chansons en patois, alors qu’elle est animatrice de la radio suisse-alémanique.
– Elle a aujourd’hui 5 albums à son actif.
– Erika Stucky, Suissesse née à San Francisco fait à Paris une formation théâtrale et musicale.
– En 1985, elle monte le groupe «The Sophisticrats».
– En 1994, elle est soliste de la formation de Gorge Gruntz.
– En 1997, elle crée avec le tromboniste Ray Anderson le trio «Mrs Bubbles&Bones».
– Les deux chanteuses se rencontrent à Zurich où elles partagent un squat.
– En 2000, elles jouent ensemble pendant six mois à Bochum, la pièce de théâtre «Helges Leben» de Sybille Berg.
– C’est là que germent les innombrables idées qui vont mener à Toluheischis Vorläbu.
– Sans savoir qu’elles ont envie de travailler ensemble, François Rochaix leur demande de participer au spectacle d’ouverture d’Expo.02.
– Elles interprètent un duo mémorable en duplex, Sina (La Panthère noire) à Bienne et Stucky (Lilith) à Morat.
– En septembre, elles tournent un film de 13 minutes pour la Journée valaisanne d’Expo.02.
– Elles s’inspirent très librement de légendes haut-valaisannes.
– C’est alors que Cully leur demande de développer leur projet pour le festival 2003.
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