Sur la piste du crime
Les Editions Grasset publient «Le Vampire de Ropraz», le dernier roman de l'écrivain vaudois Jacques Chessex.
Arme et plume bien afûtées sont au service de ce chef-d’oeuvre qui va bien au-delà d’une chronique meurtrière.
Un violeur de tombes et de cadavres – de très jeunes filles- un nécrophage, un mangeur de sexe, un fauve humain, c’est «Le Vampire de Ropraz» qui, dès la première page, met le lecteur dans une ambiance d’épouvante.
Avis aux amateurs: respirez un bon coup avant d’entrer dans l’une de ces horreurs dont Jacques Chessex détient le secret. Plongée en apnée, donc, sur 107 pages dont on émerge (es)soufflé, avec cette certitude: Chessex est immense.
Clin d’oeil complice
C’est mal connaître l’auteur si on s’imagine un instant que l’histoire qu’il raconte n’est qu’un fait divers, comme le romancier essaie de le fait croire, preuves à l’appui. Non, Chessex est bien trop malin pour se contenter de «recycler», l’espace d’un roman, les meurtres abominables d’un cinglé.
«Le Vampire de Ropraz» va bien au-delà d’une chronique criminelle. C’est un clin d’oeil complice à certaines boucheries de l’Ancien Testament, un pied de nez à toutes les gloires nationales et, surtout, un salut coquin et narcissique que Chessex s’envoie à lui-même. Lui, l’écrivain prolifique qui, dans un panthéon réservé aux grands romanciers suisses, figurerait en bonne place aux côtés de Cendrars. Mais chut…
Ropraz donc, petit village du Haut-Jorat vaudois. C’est là qu’habite Chessex depuis une trentaine d’années. Et c’est là aussi que sévit une énigme. Qui a déterré, violé et découpé, dans la nuit du 20 au 21 février 1903, le cadavre de Rosa Gilliéron, décédée d’une méningite et enterrée l’avant veille?
Un imaginaire fêlé
Rosa, 20 ans, beauté vierge du village, tant convoitée et tant aimée de son père, un notable! La question demeure ouverte. Elle le restera pour les deux autres crimes qui vont suivre et qui présentent les mêmes caractéristiques.
Dans pareil cas, on parlerait aujourd’hui d’un «serial killer». A l’époque, l’expression n’existait pas encore. Mais il existait des monstres, fruit d’un imaginaire fêlé par quatre siècles de calvinisme sec.
«Le Vampire de Ropraz» a t-il donc réellement vécu ou est-ce une chimère que l’auteur traque avec l’acharnement de celui qui croit que le vampirisme est le produit d’une religion?
Son récit fait penser aux marécages visqueux de l’Ancien Testament. On songe à la femme du lévite dans «Le Livre des Juges», cette jeune pureté violée par une horde de voyous et dont le cadavre fut découpé en douze morceaux par son propre mari.
Le sexe et Dieu
A Ropraz donc, cet hiver 1903, il fallait un coupable. Absolument. On le trouva. Il s’appelait Favez. Favez le demeuré, à l’appétit sexuel démesuré parce que brimé par d’innommables frustrations.
Le sexe et Dieu c’est l’affaire de Chessex. On le sait. Ses livres en témoignent. Mais ici, l’auteur atteint un sommet. Son «Vampire» est un chef-d’oeuvre de concision et de lucidité. Une langue pure et abrupte, cristalline et épineuse au service d’une pensée qui effraie à force d’intelligence.
Chessex aurait-il, lui aussi, peur de Favez? Dans son livre, il laisse ce dernier s’évader. On ne vous dira pas sous quelle forme ce «buveur de sang» reviendra. On vous rappellera seulement que les grands auteurs ont leurs démons. Blaise Cendrars avait le sien. Il s’en est débarrassé dans son roman «Moravagine». Vous savez, Moravagine, ce… fou dangereux, ce monstre homicide.
swissinfo, Ghania Adamo
Né à Payerne le 1er mars 1934, Jacques Chessex fait ses études à Fribourg, puis à Lausanne (études de Lettres).
Lauréat du Prix Goncourt en 1973 pour son roman «L’Ogre», l’écrivain de Ropraz domine la littérature romande.
Exposition en 2003 à la Bibliothèque nationale à Berne. «Il y a moins de mort lorsqu’il y a plus d’art » comptait sept parties: «Autographe» et les écrits autobiographiques, «Métaphysique» sur l’absolu et la religion, «Féminaire» sur la femme et l’érotisme, «La Suisse romande» et «La France» sur l’attachement, «Bestiaire» sur la nature et les animaux et enfin «Peintres».
Chevalier de la Légion d’honneur à Berne depuis 2002 et membre du jury du Prix Médicis depuis 1996, il reçoit en 2003 le Grand Prix du langage français pour l’ensemble de son oeuvre et le Grand Prix du rayonnement français de l’Académie française.
En 2004, Jacques Chessex reçoit la Bourse Goncourt Poésie/Adrien Bertrand attribuée par l’Académie Goncourt.
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