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Une initiation à la vie de journaliste

Natacha Koutchoumov et Robin Harsch, sur l'écran noir de leurs nuits blanches... SAGA Production

Dans «Un autre homme», son troisième film, le jeune Lausannois Lionel Baier met face à face Rosa et François, deux critiques de cinéma que tout oppose. Elle est affreusement cynique, lui est terriblement naïf...

Ecran noir, cécité, aveuglement. Une épaisse couche de neige recouvre le pare-brise d’une voiture. Un jeune homme tente de dégager la vue, tant bien que mal. Un autre homme s’approche de lui et lui tend un grattoir: «Tenez, gardez-le, vous en aurez besoin ici», lui dit-il.

«Ici», c’est un village de la Vallée de Joux, dans le Jura suisse. L’homme qui se démène avec la neige s’appelle François (incarné par Robin Harsch, excellent). L’autre, c’est Lionel Baier, le cinéaste en personne, ici bon Samaritain. Il apparaît à peine deux minutes. Juste l’instant d’une scène, hautement symbolique, avec laquelle il ouvre son film Un autre homme, qu’il termine par une métaphore également.

«Je t’aime de moins en moins»

Dans l’avant-dernière séquence du film, donc, François est face à Rosa (Natacha Koutchoumov), son amante du moment. Il lui dit: «Je t’aime de moins en moins, même si tu es de plus en plus belle». Elle lui répond: «C’est parce que tu commences à me voir vraiment».

Clairvoyance, lucidité: Rosa aura donc copieusement dessillé les yeux de François. Auprès de cette dévoreuse, salope à souhait, notre jeune homme a appris à vivre. Son aveuglement du début a fini par céder.

Mais entre temps que de traîtrises, que de mensonges déployés, que de tours et détours! Entre le commencement et la fin du film, c’est l’histoire d’un apprentissage qui s’écrit. D’une initiation à la vie de journaliste, menée par le cinéaste à grand renfort de métaphores (parfois fines, parfois lourdes) qui font le sel de ce long métrage, présenté en août dernier au festival de Locarno, et projeté dans les salles romandes depuis le 14 janvier.

Un tricheur

Fraîchement sorti de l’Université de Neuchâtel où il a fait des études de français médiéval, François s’installe dans la Vallée de Joux où sa copine Christine (Elodie Weber) est institutrice. Là, il se trouve un emploi dans un journal local, L’Echo. Il y est engagé comme chroniqueur, chargé surtout de critique cinématographique.

Ça tombe mal: François ne connaît rien au cinéma. Tant pis! Il copiera les articles parus dans la prestigieuse revue Travelling; ça fait chic dans un journal toc, qui se soucie comme d’une guigne de ses analyses pompeuses. Pire: François égratigne les films présentés dans le cinéma du village. Ce qui n’est pas du goût de la projectionniste, qui lui interdit l’accès à la salle. Qu’à cela ne tienne, il ira aux séances de presse à Lausanne.

Entrée donc d’un naïf dans un milieu journalistique avisé, avec un côté «rat des ville, rat des champs». Sauf que Lionel Baier ne se pose pas ici en moraliste, mais en caricaturiste qui n’hésite pas à alourdir le trait pour dégager le cynisme tapi dans le cœur des chroniqueurs.

C’est donc dans l’obscurité d’une salle que François découvre Rosa, critique de films au journal lausannois L’Epoque. Devant le grand écran, la belle dépitée s’ennuie à mourir, tire, agacée, sur une mèche, consulte son portable, puis sort au milieu de la projection. Curieux, François la suit. Le malheureux! Ou peut-être le bienheureux, ou les deux à la fois.

Clins d’œil au cinéma d’auteur

Car si Rosa a de quoi se moquer de François, elle a aussi de quoi lui ouvrir les portes d’une vie professionnelle plus reluisante et d’une vie… sexuelle plus excitante.

Mais la relation sentimentale et intellectuelle qui lie le couple n’est pas forcément ce qui a de plus séduisant dans le film. Un autre homme enchante plutôt par ses clins d’œil (beaucoup plus fins que la trame elle-même) à un cinéma d’auteur, celui des années 60-70.

Tourné en noir et blanc, très dialogué, répliques vives, humour piquant, il fait penser, entre autres, à certains films d’Eric Rohmer (Ma nuit chez Maud), avec des êtres confrontés à leurs contradictions, discutant souvent autour d’un repas.

Un style de vie, en somme, que Lionel Baier revendique pour ses personnages, avec un charme désuet qui ravit parce qu’il échappe justement à une postmodernité triviale.

swissinfo, Ghania Adamo

Film de Lionel Baier, Suisse 2008.

A l’affiche des salles romandes.

Avec notamment, Robin Harsch, Natacha Koutchoumov, Elodie Weber…

Né en 1975 à Lausanne, dans une famille suisse d’origine polonaise.

Dès 1992, il programme et cogère le cinéma Rex à Aubonne.

Entre 1995 et 1999, il fait ses études à l’Université de Lausanne.

Depuis 2002, il est responsable du département cinéma à l’Ecole cantonale d’art à Lausanne (ECAL).

Ses deux premiers longs métrages Garçon stupide et Comme des voleurs (à l’est) ont bénéficié d’une distribution internationale et d’un très bon accueil public et critique dans de nombreux festivals.

Un autre homme est son troisième film de fiction.

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