«La démocratie directe n’est pas une religion»
La Suisse est un modèle de démocratie. Mais des garde-fous sont nécessaires pour améliorer le système et éviter des ‘accidents’ tels que le vote anti-minarets, estime Vincent Kucholl. Le comédien et politologue suisse est l’auteur du best-seller «Institutions politiques suisses».
Vincent Kucholl et Vincent Veillon ont animé durant trois ans la chronique «120 secondes»Lien externe sur la chaîne de radio publique Couleur 3. Le duo comique a ensuite rempli les salles romandes et parisiennes avec un spectacle largement inspiré de cette expérience radiophonique. Ils animent depuis le mois de janvier une émission satiriqueLien externe à la télévision suisse (RTS). Mais Vincent Kucholl, politologue de formation, est également capable de parler avec le plus grand sérieux du système politique suisse.
swissinfo.ch: Votre livre sur la démocratie suisse a été vendu à plus de 250’000 exemplaires. Il a rencontré un grand succès notamment auprès des écoles et des candidats à la naturalisation, à tel point qu’une version anglaise est en cours de préparation. La démocratie suisse est-elle à ce point passionnante?
Vincent Kucholl: A priori, ce n’est pas un sujet très sexy. Mais on observe – et les chiffres de vente le prouvent – que ça intéresse largement la population. Généralement, les ouvrages qui abordent cette thématique sont très techniques et complexes. Si on fait l’effort de simplifier et d’expliquer l’essentiel, alors les gens posent plein de questions et s’intéressent au sujet. C’est plutôt bon signe.
swissinfo.ch: Le président de la Confédération Didier Burkhalter a expliqué que la démocratie directe est comme le sang qui coule dans les veines des Suisses. Le ressentez-vous ainsi?
V.K.: Non. (rires) Le système politique suisse est un cocktail et la démocratie directe n’est en qu’un des éléments. Le fédéralisme et le multiculturalisme sont également très importants. La démocratie directe encourage la recherche du consensus car le Parlement craint les référendums. Ceux-ci représentent en effet un caillou dans le système et ralentissent la prise de décision.
La stabilité du système montre que malgré cette mosaïque, cela fonctionne bien. Je pense que le système politique suisse est un modèle. Ce serait bien s’il pouvait être mieux connu et inspirer d’autres pays, mais je ne vais pas commencer à faire du prosélytisme.
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swissinfo.ch: Le système démocratique suisse est-il exportable?
V.K.: Je n’en suis pas certain, car il y a une culture politique spécifique en Suisse. De nombreuses initiatives – par exemple sur l’introduction du salaire minimum ou de deux semaines de vacances supplémentaires – ont été refusées en Suisse, alors qu’elles auraient largement été acceptées dans d’autres pays. Les citoyens votent contre leur intérêt personnel immédiat, ce qui peut étonner à l’étranger.
Le risque est que la démocratie directe devienne une arme du populisme. Cela l’a été parfois, je pense notamment à la votation sur les minarets, mais pas dans la majorité des cas. On peut parler d’une sorte de maturité politique des Suisses.
swissinfo.ch: Le taux de participation chez les jeunes est faible. On estime parfois qu’il y a trop de votations et que les sujets sont trop complexes. Comment peut-on y remédier?
V.K.: Les sujets sont parfois techniques mais je ne pense pas qu’il y a trop de votations. Trop de démocratie ne tue pas la démocratie. L’éducation civique a un rôle fondamental à jouer. Les salles de classe devraient être un lieu de discussions politiques et culturelles. Il faudrait davantage intéresser la population à la chose publique. Et avant de comprendre comment cela fonctionne dans le détail, il faut expliquer que chacun a un rôle à jouer et qu’il peut y trouver de l’intérêt.
swissinfo.ch: A la suite de la votation du 9 février sur l’immigration de masse, le président allemand Joachim Gauck a affirmé qu’il respectait le vote suisse mais que la démocratie directe peut représenter un ‘danger réel’ lorsque les sujets sont complexes et qu’il est parfois difficile pour les citoyens d’en comprendre les implications. Doit-on vraiment pouvoir voter sur tout: l’Europe, l’immigration, les armes, deux semaines de vacances supplémentaires…?
V.K.: Il y a clairement eu un manque d’information concernant le vote du 9 février. On ne peut pas voter sur tout. Nous avons besoin de garde-fous. Certes, ce n’est pas compliqué de voter ‘oui’ ou ‘non’ à propos de l’immigration, mais les conséquences sont autrement plus complexes. Certaines de ces conséquences sont d’ordre juridique et n’ont en l’occurrence pas bien été expliquées à la population. Je suis sûr qui si la votation avait lieu aujourd’hui, le résultat ne serait pas identique. Il y a eu un manque d’information et de communication concernant les aspects liés à la recherche, à la mobilité, aux relations avec l’UE et aux accords bilatéraux.
swissinfo.ch: La Suisse a-t-elle besoin d’une cour constitutionnelle pour évaluer la conformité de certaines initiatives?
V.K.: Oui. Nous devons valider de manière plus précise les initiatives. A l’heure actuelle, elles ne sont pas assez encadrées. La votation du 9 février est un événement assez grave. C’est un accident, à l’instar de la votation sur les minarets, qui a des conséquences sur les engagements internationaux de la Suisse.
La démocratie directe ne devrait pas permettre d’aborder tous les sujets. Je ne suis pas d’accord avec l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), qui veut faire primer le droit suisse sur le droit international. Le peuple n’a pas toujours raison. Il peut se tromper et c’est ce qui est arrivé le 9 février.
«Le peuple n’a pas toujours raison. Il peut se tromper et c’est ce qui est arrivé le 9 février»
Ce qui me choque, en Suisse, c’est que pratiquement tous les politiciens affirment que ‘le peuple a raison’. Je ne suis pas d’accord avec ce slogan. La démocratie directe n’est pas une religion. Le citoyen n’est pas un dieu.
swissinfo.ch: L’ancienne chancelière de la Confédération Annemarie Huber-Hotz estime que les grands partis politiques ne devraient plus être autorisés à lancer des initiatives populaires. Qu’en pensez-vous?
V.K.: D’un point de vue philosophique, cette idée est intéressante car l’initiative populaire a été introduite au début du 20e siècle pour faire office de contre-pouvoir. Aujourd’hui, c’est le plus grand parti, l’UDC, qui lance le plus d’initiatives. Ce n’est pas dans cet esprit que les pères fondateurs de la Suisse moderne ont mis en place cet outil. Reste que cette proposition est très provocatrice et qu’elle ne passera jamais.
swissinfo.ch: Quelles sont les autres améliorations à apporter au système démocratique suisse?
V.K.: Le taux de participation moyen de 40% n’est pas mauvais. Mais il s’agit de 40% des citoyens suisses et non 40% de l’ensemble la population. De nombreuses personnes qui vivent en Suisse et qui y sont nées ne peuvent pas voter. Celles et ceux qui font de ce pays ce qu’il est aujourd’hui doivent pouvoir participer à sa vie et à son développement. A l’heure actuelle, près de deux millions d’étrangers sont exclus du système. Cela prendra du temps mais je souhaiterais que cela change. Car les Suisses, ce ne sont pas seulement les citoyens qui possèdent le passeport rouge à croix blanche.
(Traduction et adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)
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