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«Anna Göldi était comme un cheval sauvage»

Masha Karell als Anna Göldi
Masha Karell joue le rôle principal dans une comédie musicale consacrée à Anna Göldi. La comédienne de 48 ans est convaincue que c’était une femme de caractère. zvg

Plus de deux cents ans après sa mise à mort, l’histoire de «la dernière sorcière d’Europe» garde son pouvoir de fascination. Et Anna Göldi reste une personnalité qui dérange.

Walter Hauser se demande longuement s’il peut vraiment s’exprimer comme ça. Il sait bien que sa formulation à quelque chose de provoquant ou de cynique. Après une dernière hésitation, il murmure tout de même: «c’est comme une malédiction. Cette histoire ne me lâche pas».

Qualifier de malédiction la fascination exercée par Anna Göldi ne manque pas d’ironie car elle est considérée comme la dernière femme à avoir été exécutée pour sorcellerie en Europe. Le 13 juin 1782, un bourreau du canton de Glaris lui tranchait la tête. Quelque 235 ans plus tard, son histoire captive toujours des visiteurs du monde entier.

Walter Hauser a commencé à s’intéresser à l’histoire d’Anna Göldi il y a maintenant douze ans et elle ne le lâche toujours pas. Il sait désormais tout ce qu’on peut savoir à son sujet. Journaliste et juriste, il lui a consacré deux livres. Il est aussi président de la Fondation Anna Göldi et a figuré en tête de ceux qui se sont battus par la réhabilitation de «la dernière sorcière d’Europe» il y a dix ans. Il met maintenant la dernière main au nouveau musée Anna Göldi qui ouvre ses portes le 20 août à Glaris, le chef-lieu du canton du même nom.

Ce musée est indispensable parce que la majorité des visiteurs viennent ici pour elle, relève Walter Hauser qui a grandi dans la ville. «Son histoire a tous les éléments d’un bon drame: amour, pouvoir, intrigues et mort.»

Porträt von Walter Hauser
Walter Hauser est LE spécialiste d’Anna Göldi et étudie son cas depuis douze ans. Il est photographié ici dans le nouveau musée qui lui est consacré à Glaris. Lars Gotsch/swissinfo.ch

Anna Göldi est née le 24 octobre 1734 et a grandi dans le bailliage zurichois de Sax qui se trouve aujourd’hui dans le canton de Saint-Gall. Sa famille était pauvre et vivait tout au bas de l’échelle sociale. Dès l’âge de 15 ans, il lui a fallu travailler comme servante pour différentes familles de sa commune d’origine, Sennwald. Elle avait 31 ans lorsqu’elle est tombée enceinte pour la première fois. Le père de son enfant était un soldat. Il avait disparu à l’étranger avant que l’enfant ne voie le jour.

Le malheur

La vie de la jeune femme bascula dans le malheur avec ce bébé qui mourut d’étouffement la nuit même de sa naissance. Elle fut accusée de l’avoir tué, bien que la mortalité néonatale précoce était chose courante en ces temps-là.  Elle découvrit alors combien la justice de l’époque pouvait être cruelle.

La servante fut d’abord condamnée au pilori. Après son exposition à la vindicte publique, elle aurait dû rester enfermée pendant six ans dans la maison sa sœur, mais elle préféra s’enfuir. Le pays glaronais sous l’empire d’une autre juridiction se trouvait à une journée de marche. C’est là qu’elle s’installa et finit par trouver un emploi auprès d’une riche famille, les Zwicky.

Elle eut une liaison avec le fils du maître des lieux, le jeune médecin Melchior Zwicky qui avait onze ans de moins qu’elle. Des amours dont naitra un enfant en bonne santé. Bien que le jeune homme l’ait souhaité, un mariage était impossible en raison de leurs origines sociales différentes. On ignore ce qu’est devenu l’enfant.

«Pour l’époque, Anna Göldi était une femme de caractère», dit Masha Karell, la comédienne qui l’incarnera dans une comédie musicaleLien externe qui débute en septembre. Elle s’est longuement préparée à ce rôle: «Je me suis rendue à tous les endroits qui ont marqué sa vie et j’ai absorbé tout ce que je pouvais apprendre sur elle.» 

Certains lieux n’ont pas changé. La maison de la famille Zwicky existe toujours. Plus Masha Karell en apprenait, plus elle était impressionnée par son personnage. «Il faut essayer de s’imaginer par où elle est passée.» La servante a été condamnée pour le meurtre présumé de son premier bébé, mise au pilori et poussée à l’exil. Elle a souffert en amour et n’a pas pu garder son enfant illégitime. «Mais elle s’est toujours relevée et a continué», dit Masha Karrell.

La comédienne ne doute pas qu’elle doive lui donner une forte personnalité. «Elle me fait penser à un cheval sauvage qu’on n’arrive pas à dompter.»

Sa dernière place de servante précipita sa fin tragique. En 1780, était âgée de 46 ans lorsqu’elle est entrée au service de la famille Tschudi. Le maître des lieux Johann Jakob Tschudi était médecin et juge et appartenait aux élites glaronnaises.

Un matin, une de ses filles trouva une aiguille dans son lait. Il accusa immédiatement la servante puisque c’est elle qui préparait le lait. Elle perdit sa place et la bonne société du lieu lui fit comprendre qu’il valait mieux qu’elle disparaisse.

Dix-huit jours plus tard, une autre fille de la famille Tschudi commença à avoir des convulsions et à cracher des épingles. Bien que la servante ne soit plus dans la maison depuis deux semaines, les soupçons se portèrent immédiatement sur elle. Le père affirma qu’il était convaincu que la servante l’avait ensorcelée.

En dépit de tout élément rationnel, Anna Göldi fut arrêtée et traduite en justice. La plupart des témoins étaient des proches de la famille Tschudi. La femme contesta d’abord les accusations, mais torturée plusieurs fois, elle finit par avouer avoir «ensorcelé» la jeune fille en faisant un pacte avec le diable. Elle fut décapitée en 1782.

Malgré les Lumières

Ce jugement était extraordinaire pour l’Europe de cette époque. Les Lumières avaient déjà atteint les campagnes depuis longtemps et les couches supérieures et cultivées de la société s’étaient affranchie des superstitions. En tant que médecin et juriste, Johann Jakob Tschudi en faisait partie. 

Walter Hauser estime que la condamnation n’a été possible que parce que l’accusation de sorcellerie émanait d’un magistrat puissant. «Les mêmes accusations formulées par quelqu’un d’ordinaire n’auraient pas eu d’écho. C’est un scandale judiciaire.» Selon l’historien, Johann Jakob Tschudi voulait tout simplement se débarrasser d’elle. Car il avait probablement eu une liaison avec sa servante.

«Rendue publique, cette liason aurait représenté la mort sociale et professionnelle de Tschudi», affirme Walter Hauser. «Après le procès, il a demandé un document officiel attestant qu’il n’avait jamais soumis Göldi à l’acte de chair.»

Peut-être qu’il n’appréciait pas son indépendance. Peut-être avait-il peur qu’elle le dénonce et trouve suffisamment de gens pour la soutenir. Les contemporains l’ont décrite comme une femme fière, séduisante et «assez cultivée». Pour Masha Karell, il est clair qu’elle était trop indépendante, «cela ne plaisait pas à certains de ses contemporains».

Cette histoire dérange aujourd’hui encore dans le canton de Glaris où elle reste un sujet de discussion malgré la réhabilitation prononcée il y a dix ans. C’est peut-être ça la malédiction d’Anna Göldi: elle rappelle que l’histoire de la Suisse a également ses zones d’ombre.

(Traduit de l’allemand par Olivier Hüther)

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