«Le salaire minimum n’aide pas les plus pauvres»
Le nouveau gouvernement allemand veut le mettre en place et il est âprement débattu en Suisse: le salaire minimum n’est pourtant pas un instrument politique adéquat, ni en Allemagne ni en Suisse, estime le professeur d’économie Thomas Straubhaar.
Directeur de l’Institut pour l’économie mondiale de Hambourg (HWWI), Thomas Straubhaar est également professeur d’économie, spécialisé dans les relations économiques internationales, à l’Université de la ville hanséatique.
swissinfo.ch: Les ministres allemands de la nouvelle coalition viennent de prêter serment. Comment voyez-vous ce nouveau gouvernement?
Thomas Straubhaar: Cette coalition réunit deux partis qui formaient, historiquement, des pôles antagonistes. Les élections les ont toutefois obligés à collaborer.
Sur le fond, je partage la critique d’experts ayant mis en lumière l’absence d’un concept économique. Mais peut-être faudrait-il se montrer un peu plus confiant.
Le temps des grandes réformes est passé. Peut-être les grandes coalitions sont-elles adéquates à une époque où la politique est plutôt une forme d’adaptation progressive à des conditions cadres en transformation permanente.
Selon le contrat signé par les partenaires de la coalition allemande, le salaire minimum sera mis en place le 1er janvier 2015.
Tous les salariés devraient gagner au minimum 8 euros 50 de l’heure (soit dix francs suisses).
Une période de transition sera accordée jusqu’en 2017 pour les branches connaissant déjà des solutions de salaires minimaux.
Le montant du salaire minimum doit être vérifié régulièrement par une commission dont les membres seront issus des associations de salariés et des syndicats.
Le salaire minimum ne s’appliquera pas aux personnes en formation, aux stagiaires et aux bénévoles.
swissinfo.ch: L’action de ce nouveau gouvernement aura-t-elle des conséquences en Suisse?
T.S. : Il ne faut pas surestimer les conséquences de cette élection. Les liens entre Allemands et Suisses sont si étroits, dans le domaine économique, et les relations au quotidien sont si bonnes que les Suisses ne devraient pas craindre de grands changements.
swissinfo.ch: Les sociaux-démocrates ont fait de l’introduction d’un salaire minimum une condition à leur participation à une grande coalition. Cela devrait être fait dès 2015, avec un salaire minimum de 8 euros 50 par heure. Est-ce une bonne chose?
T.S.: Le salaire minimum n’aura pas une grande importance, à mon avis, pour l’économie allemande et sa compétitivité internationale. Ces dernières années, l’économie allemande a énormément gagné en stabilité. Sa force d’exportation est légendaire, sa capacité concurrentielle est la meilleure du continent européen. La politique ne pourra pas influencer ces qualités.
En revanche, les conséquences en terme de politique sociale d’un salaire minimum représentent un autre volet de réflexion. Sous cet angle-là, je dirais que le salaire minimum ne sera d’aucune aide pour les personnes qu’il est censé soulager.
Le but est de rémunérer décemment celles et ceux qui travaillent correctement. Mais ce principe n’est valable que pour les personnes qui travaillent. Même si le salaire minimum ne fait pas fondre des emplois de façon massive, il ne va certainement pas en créer énormément non plus.
Cet instrument va même rendre la vie plus difficile aux plus pauvres, soit les chômeurs de longue durée et les personnes très faiblement qualifiées. Sa conséquence sera que les plus faibles des travailleurs ne pourront même plus trouver un emploi.
swissinfo.ch: Mais l’Allemagne compte un grand d’emplois payés au salaire minimum. Plusieurs millions de personnes travaillant à plein temps ne parviennent pas à financer leur minimum vital.
T.S.: Je suis d’accord, cela n’est pas admissible. Mais c’est précisément la percée économique, avec la stabilité et la compétitivité accrue gagnées ces dernières années, qui ont eu des effets positifs en politique sociale et qui ont permis de redonner un emploi à de nombreuses personnes. Parfois, ce sont des emplois sociaux. Le nombre de ces derniers est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été depuis la réunification. Le chômage a également atteint son plus bas niveau.
Nous savons aussi que le salaire minimum bénéficie surtout à des personnes qui ne sont justement pas les plus défavorisées, par exemple les partenaires gagnant un salaire d’appoint et les personnes vivant dans des familles pouvant déjà compter sur d’autres salaires.
S’il n’est pas admissible que des emplois ne suffisent pas pour vivre, il est clair que le salaire minimum est le mauvais instrument pour corriger la situation.
Pour les mères élevant seules leurs enfants, il sera trop faible pour permettre un minimum vital correct.
Il serait beaucoup plus intelligent de soutenir les personnes qui en ont le plus besoin de façon directe et ciblée, par des transferts financiers provenant des caisses sociales financées par l’impôt.
L’initiative populaire fédérale «Pour la protection de salaires équitables», ou «initiative sur les salaires minimums», a été lancée par les syndicats, le Parti socialiste et les Verts.
Elle demande un salaire minimum de 22 francs de l’heure, respectivement 4000 francs par mois.
Le texte devrait être soumis au vote populaire l’année prochaine.
Le gouvernement et le parlement recommandent son rejet.
swissinfo.ch: Une initiative demandant un salaire minimum a également été déposée en Suisse. Un pays dont vous êtes originaire.
T.S.: A mon sens, le salaire minimum serait particulièrement dommageable en Suisse. En principe, le pays connaît déjà le salaire minimum, par le biais des conventions collectives. Il ne faut pas améliorer grand chose. La Suisse est enviée pour son taux de chômage très bas. Le problème de base – ne pas pouvoir vivre décemment avec un emploi – est également moins patent en Suisse que dans d’autres pays.
En Suisse plus qu’ailleurs encore, je rejette tout interventionnisme sur le marché du travail, car la souplesse mise en place a porté ses fruits.
Contrairement à l’initiative sur le salaire minimum, je considère toutefois que l’initiative populaire pour un revenu minimal de base inconditionnel comme juste, dans sa philosophie au moins.
La question du niveau d’un tel revenu inconditionnel se pose, évidemment. Les montants que l’on cite souvent, sont, à mes yeux, utopiques et pas très constructifs. Les coûts et le financement du système auraient tellement d’effets négatifs que le bien-être global de la Suisse ne serait pas amélioré, mais plutôt mis en danger.
swissinfo.ch: Quels seraient ces effets négatifs?
T.S.: Un revenu inconditionnel de base d’un niveau tel que prévu en Suisse aurait pour conséquence que les gens ne seraient plus prêts à travailler autant qu’ils le font aujourd’hui.
D’un autre côté, il faudra taxer plus nettement les revenus de ceux qui travaillent. Les performances et les incitations à être performants diminueront.
swissinfo.ch: Revenons au salaire minimum en Suisse. Les adversaires de l’initiative craignent qu’un tel instrument attire des travailleurs migrants.
T.S.: Je pense que la discussion sur d’éventuels excès de migrations et la théorie de «la barque est pleine» est plutôt contreproductive pour la Suisse. Le pays dépend de l’arrivée de travailleurs qualifiés. Elle l’a toujours été et elle le sera encore longtemps, car sa principale ressource est le capital humain.
Tout ce qui est susceptible d’améliorer et de multiplier ce capital humain doit être considéré avec bienveillance pour l’économie suisse. C’est pourquoi l’immigration de spécialistes et de cadres dirigeants est très importante.
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