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Un Edelweiss défie la crise au cœur de Lisbonne

Sindi le cuistot et Marc l’hôte, devant l’enseigne de leur Edelweiss. Marie-Line Darcy

En pleine crise, il fallait oser. Sindi le Suisse et Marc le Canadien ont ouvert l’an dernier un restaurant dans le centre de Lisbonne, à l’enseigne de l’Edelweiss. Le bois chaleureux, l’ambiance chalet et les prix calculés au plus juste attirent une clientèle conquise par ce petit coin de Suisse.

Ambitieux? Marc et Sindi l’admettent volontiers. Mais leur ambition n’a rien à voir avec l’étalage des signes extérieurs de richesse. Ce qui intéresse Marc le Canadien et Sindi le Suisse c’est de pouvoir vivre et travailler dans ce coin de paradis, Lisbonne l’océanique, et en particulier le quartier de Flores (les fleurs) où ils ont ouvert l’Edelweiss.

Marc retrouve son accent québécois d’origine pour expliquer la magie qui s’est opérée: «Nous sommes tombés en amour de Lisbonne au cours d’un voyage de vacances. Et nous avons alors su que c’était là que nous voulions nous installer». Marc est l’hôte du restaurant Edelweiss ouvert il y a quelques mois. Le service, l’accueil c’est son domaine. Tandis que Sindi Suisse alémanique d’origine, officie en cuisine. Bon signe: les conversations sont sans cesse interrompues par le téléphone et les réservations.

La recherche du bon coin

Marc était arrivé en Suisse alors qu’il était étudiant en architecture, a 23 ans. L’Europe à découvrir, la rencontre avec Sindi… Il n’est plus jamais retourné dans son Canada natal sauf pour des vacances.

Après quelques boulots dans la restauration à Genève et ailleurs, les deux amis jettent leur dévolu sur Nice, en France. «Le soleil, la mer…. On a déchanté, ce n’est pas facile la Côte d’Azur si tu n’es pas natif» soupire un rien amusé Sindi le cuistot. Leur bar marchait bien, mais au bout de neuf ans, les deux amis se sont lassés de la vie nocturne. Ils ont découvert Lisbonne. C’est le coup de foudre, ils vendent leur affaire niçoise et se retrouvent en 2009 à faire ce qu’ils ne voulaient pas: tenir un bar de nuit.

Heidi cueille des edelweiss

Heidi, c’est le nom qu’ils donnent au petit bar situé en plein Bairro Alto, le quartier des jeunes et des touristes, où la nuit les ruelles étroites dégorgent de noctambules. Pour Heidi, on sort des bottes de paille sur les pavés pour servir de sièges et séduire les fêtards.

Mais Marc et Sindi n’ont qu’une idée: quitter les nuits blanches, ouvrir un restaurant, changer de rythme. «Au bout de six mois, on avait déjà trouvé l’emplacement pour le restaurant. Un ancien bar très fermé, dont on a complétement transformé l’espace. J’ai presque tout fait moi-même, à mon rythme, pour un investissement minimum. Nous voulions quelque chose qui nous corresponde» explique sobrement Marc.

Le quartier des Flores est familial, mais les touristes y flânent avec bonheur. Le restaurant est grand, la mezzanine en bois évoque un chalet dans les Alpes. Marc hilare s’amuse à allumer la cheminée: il s’agit d’un écran de télévision diffusant la vidéo d’un feu de bois.

En 2012 la TVA est passée de 13 à 23% dans le secteur de la restauration et des boissons (certaines seulement). Une mesure qui a entrainé la fermeture des restaurants de quartier et des estaminets qui n’avaient pas pris leurs précautions. En 2012, ce sont 15% des établissements qui ont mis la clef sous la porte.

Selon l’AHRESP, l’Association de la Restauration, de l’Hôtellerie et assimilés, prés 40’000 établissements – restaurants et hôtels – fermeront d’ici la fin de 2013. Ce sont prés de 100’000 postes de travail qui vont disparaitre. Le secteur a tenté á plusieurs reprises de faire changer d’avis le gouvernement, sans succès. L’impact sur le tourisme n’a pas encore été évalué, alors que le tourisme représente 11% du PIB portugais.

Un risque calculé

Quand il s’agit de parler chiffres Marc est prudent. «Nous avons signé un bail de quatorze ans. Mais le loyer ici dans le quartier des Flores est cinq fois moins élevé pour trois fois plus de place que dans le Bairro Alto, sur une autre colline de la ville, tout près. Nous appliquons des prix justes, notamment sur les vins, tous portugais. Il faut compter 25 euros par personne, ce qui nous place dans le moyen de gamme» explique Marc.

Ouvrir un restaurant en octobre 2012, alors que le Portugal vit sa plus grave récession depuis 1975, cela relève de la folie. Mais alors que les loyers sont compris entre 15 et 25 euros le m2 dans le quartier branché du Bairro Alto, le choix du quartier des Flores, plus tranquille et moins cher, permet d’attirer une clientèle de proximité.

Les patates les plus chères du monde

Entre deux allers et retours à la cuisine, Sindi reprend le fil de la conversation. «Nous avons adapté la cuisine suisse, en jouant sur sa variété. Nous nous fournissons au Portugal. Impossible de faire venir les produits d’Helvétie: elle est chère et ne fait pas partie de l’Union européenne. Alors on redevient inventif». Le secret de la délicieuse fondue de l’Edelweiss? Rajouter du «queijo da Ilha», fromage typique au goût relevé de l’île de São Jorge aux Açores.

Les deux restaurateurs n’ont pas la folie des grandeurs, et leur prudence est dictée par la situation au Portugal. En 2012, la TVA est passée de 13 à 23 % dans la restauration. L’État cherche à faire rentrer de l’argent frais dans les caisses. Un coup dur pour le secteur, alors que la population qui connait de graves difficultés réduit ses sorties aux restaurants. «Nous avons ouvert en octobre 2012, conscients du contexte dans lequel on se trouve. Notre option c’est de faire de la bonne cuisine à valeur ajoutée. On vend les patates les plus chères du monde» s’amuse Marc en évoquant les traditionnelles röstis.

Maudite crise

Le Portugal a connu une récession économique sans précédent en 2012. Avec un recul de 3,2 % du PIB, ce résultat négatif établit le deuxième record après la crise de 1975 (-5,1% de PIB). Le chômage atteint un niveau historique de 17,6 % de la population, et il touche majoritairement les jeunes (près de 40% ). L’austérité imposée par les bailleurs de fonds internationaux – FMI et Union Européenne – qui ont prêté 78 milliards d’euros au Portugal, diminue fortement le pouvoir d’achat des gens.

Selon l’Association du Secteur Hôtelier, la branche est sinistrée. Les restos de quartier ferment les uns après les autres, près de 40’000 établissements auront mis la clef sous la porte d’ici la fin de 2013. Les restaurateurs s’endettent, essaient de maintenir leur prix et leur clientèle. D’autres craquent et on évoque des cas de suicide. Un comble et une tristesse dans un pays où on adore manger, où les portions doivent déborder de l’assiette, et où les plats traditionnels ont encore une place de choix sur les menus.

Financer la retraite

A l’Edelweiss comme ailleurs, on fait le dos rond pour résister à la crise. Pour Marc et Sindi «qui en ont vu d’autres», l’objectif est de garder le restaurant une dizaine d’années, faire des économies pour financer une retraite qui s’approche. Ensuite, ce sera sans doute un lopin de terre près de Lisbonne, quelques chambres d’hôtes et la table qui va avec. Une ambition à l’image de Marc et Sindi, simple, mesurée, curieuse et ouverte. En somme, la recette contre la crise.

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