Splendeurs et misères de la Francophonie
De modeste agence de coopération culturelle, à ses débuts, la Francophonie est devenue un instrument politique d’envergure internationale. Avec le risque, parfois, de pasticher une sorte d’ONU au rabais.
La Francophonie, combien de divisions? La fameuse question de Staline à propos du Vatican pourrait s’appliquer aujourd’hui à la francophonie. Ou plus précisément, à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), réunie en grand spectacle à Montreux (du 20 au 24 octobre) à l’occasion de son XIIIe Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement.
Tigre de papier ou «puissance» planétaire? Mini-ONU ou super-ONG? L’OIF est un ovni à nul autre pareil, comme en témoigne sa généalogie.
Vers un humanisme moderne
«Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française…» Il fallait un poète africain, en l’occurrence Léopold Sédar Senghor pour transformer le legs culturel du pays colon en un concept radicalement positif.
En 1962, le président sénégalais jette les bases d’un mouvement qu’il définit comme un «humanisme moderne». La Francophonie – terme inventé par un géographe colonialiste du XIXe siècle – va devenir la seule grande organisation internationale née sur des préoccupations linguistiques et culturelles.
Pas étonnant, donc, qu’en mars 1970, les parrains de la nouvelle «Agence de coopération culturelle et technique» (précurseur de l’OIF) soient les figures marquantes de l’héritage francophone en Afrique et en Asie: Senghor (Sénégal), Bourguiba (Tunisie), Diori (Niger) ou encore Sihanouk (Cambodge).
Lègue colonial, langue de partage
De langue imposée par l’ancienne mère patrie, le français devient d’un coup la «langue en partage», d’abord pour les pays sortis à peine de la décolonisation ou proches de la France (type Belgique), puis pour de nombreux pays possédant des minorités francophones, parfois importantes (Suisse), parfois microscopiques (Guinée-Bissau).
Mais cette seule dimension linguistique – outil de dépendance culturelle selon ses détracteurs – semble de peu de poids face au modèle rival, celui de l’autre ex-puissance coloniale: le Commonwealth (créé en 1947).
Ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali (premier secrétaire général de la Francophonie) pousse alors à la transformation de l’organisation sur un autre modèle, celui de l’ONU. La Francophonie se dote d’une Charte, d’une assemblée parlementaire et devient une organisation à ambitions multiples: culturelle, humanitaire et politique.
Nouvelles missions
Les «missions» de la nouvelle Francophonie, dès 1997-98, se diversifient. A la promotion de la langue française s’ajoute la «diversité» culturelle. Au soutien de l’éducation s’ajoutent la démocratie et les droits de l’homme. A la recherche et l’enseignement supérieur s’ajoute la coopération au service du développement durable.
A ces nouveaux objectifs correspond un élargissement tous azimuts: désormais des pays non francophones se réclament de la Francophonie! Un «label» devenu depuis synonyme de promotion de valeurs humanistes universelles.
En se dotant d’une Charte (1997), la Francophonie ambitionne aussi de pousser ses pays sur la voie de la démocratie et des droits humains. Mais là, il faut le dire, les résultats restent médiocres.
Recul de la démocratisation
Après un vent de démocratisation, dans les années 80, l’Afrique francophone semble comme revenue en arrière en ce début de XXIe siècle. Cela en dépit de la Déclaration de Bamako (2000), signée au sein de l’OIF, et qui engage ses Etats membres en matière de pratique de la démocratie, des droits et libertés dans l’espace francophone.
Plus concrètement, quelles ont été les grandes réalisations de la Francophonie en 40 ans? Souvent interrogé, l’actuel secrétaire général, l’ex-président sénégalais Abdou Diouf, cite l’adoption de la Convention sur la diversité culturelle à l’Unesco (2005), fortement appuyée par le lobby francophone. Une convention considérée comme un garde-fou essentiel contre l’uniformisation (domination de l’anglais et de la culture anglo-saxonne) induite par la mondialisation.
TV5 Monde
A cette victoire politique majeure s’ajoutent les innombrables programmes ou aides à des projets, en particulier dans les pays francophones en développement. Exemples: la création de TV5-Monde, l’Agence universitaire de la francophonie (700 hautes écoles associées dont les universités romandes), l’Association des maires francophones, les aides à la diffusion de la littérature francophone, à la production de films en Afrique francophone, la formation à distance d’enseignants, la surveillance de processus électoraux, etc.
Pas étonnant que le nombre de pays ou gouvernements membres ait explosé: de 21 en 1970 à 71 actuellement (avec les observateurs). Une croissance exponentielle (surtout dans les années 2000) qui fait dire à certains que l’on est passé de la «Francophonie» à une simple «francophilie».
Proche du découragement
Pour autant, la place réservée au français se réduit, notamment dans les instances internationales (ONU, UE, JO), ce qui inquiète particulièrement Abdou Diouf. «Il faut que le français, sans s’opposer à l’anglais, reste une langue qui ait l’ambition de tout exprimer, y compris dans les domaines techniques et scientifiques.
En défendant la place de notre langue, nous nous mobilisons aussi pour accroître la place des autres langues dans l’espace linguistique mondial. Une seule langue, cela signifie une seule vision du monde. C’est contre cela que nous nous battons», rappelle régulièrement le timonier de l’OIF.
Quant à la question de la bonne gouvernance si chère à l’OIF, Diouf l’assure: «quand nos Etats ne respectent pas les engagements pris dans la Déclaration de Bamako, nous sommes parfois proches du découragement. Mais jamais nous ne baissons les bras…»
Une image
Reste que la Francophonie demeure encore souvent perçue comme un pur concept, avec peu de contenu concret. Création au succès paradoxal, l’OIF joue son avenir – à l’instar de la langue française – en Afrique.
Or, ces pays africains entretiennent eux-mêmes une relation ambivalente avec la vision de Senghor. «Il est difficile de cacher l’utilisation de la Francophonie comme instrument de rayonnement, de conquête politique, diplomatique, non pas de la langue française, mais de la France», soulignait le quotidien burkinabé «San Finna» à l’issue du Sommet de Québec (2008), le dernier avant Montreux.
En ce sens, concluait à son tour le journal camerounais «Le Messager», la Francophonie n’est toujours pas parvenue à se défaire de son image de «cheval de bataille de la France pour mieux préserver ses intérêts dans ses anciennes colonies».
Du 22 au 24 octobre 2010 (année du 40ème anniversaire de l’OIF), la Suisse accueille à Montreux le 13e Sommet de la Francophonie.
Election. A cette occasion, les chefs d’Etat et de gouvernement adopteront une déclaration sur les thématiques abordées et éliront les Secrétaire-général de l’OIF (Abdou Diouf est parvenu au terme de son 2e mandat; il s’est déclaré disponible pour un nouveau mandat).
20-21 octobre, Lausanne: Assemblée de l’Association internationale des Maires francophones.
17-24 octobre, Montreux: Village de la Francophonie (animations, rencontres)
17-24 octobre, château de Chillon: Clôtures, remises de prix, expositions
19-24 octobre, Montreux: discussions publiques sur les thématiques du Sommet.
Léopold Sédar Senghor est né le 9 octobre 1906 à Joal au Sénégal. Il est décédé le 20 décembre 2001 à Verson en France.
Poète, écrivain et homme politique, il a été le premier président du Sénégal (1960-1980). Et le premier Africain à siéger à l’Académie française.
Avant l’indépendance de son pays, il a également occupé la fonction de ministre en France.
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