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A Lugano, le premier imam formé en Europe

Nicole della Pietra

Licence en droit et théologie, master en sciences de la communication, doctorant, médiateur interculturel: Samir Jelassi Radouan, imam de Lugano, passe pour l'imam le mieux formé d'Europe. Ce quadragénaire, qui cumule les mandats et les projets, prône le dialogue et combat l'extrémisme. Interview.

Une enquête en sciences des religions, menée dans le cadre Programme national de recherche «Collectivités religieuses, Etat et société» (PNR 58), montre que l’idée de former des imams en Suisse pour lutter contre l’intégrisme, jouit d’un large consensus.

Une formation en faveur de laquelle plaide aussi l’imam de Lugano, Samir Jelassi Radouan. Ce Tunisien d’origine et Français de nationalité, est le premier imam titulaire d’une telle formation en Europe.

swissinfo.ch: Vous êtes très actif, non seulement à la tête de la communauté islamique tessinoise, mais également dans plusieurs associations et institutions non musulmanes…une ouverture exemplaire…

Samir Jelassi Radouan: Je suis né d’un père tunisien et d’une mère d’origine andalouse. J’ai grandi avec des voisins non musulmans, comme des familles de catholiques italiens. Je pense que c’est de là que me vient mon ouverture. Ce parcours a aussi beaucoup influencé la suite de ma formation en Europe.

swissinfo.ch: … justement, de quelle filière s’agit-il?

S.J.R: Après mes études de droit à Grenoble, je me suis orienté vers la première université islamique de France, à Château Chinon. C’est là que j’ai terminé ma maitrise en droit et en fondements de la théologie.

A cette époque, j’étais déjà imam en France. En arrivant en Suisse, j’ai enchainé avec une formation de médiateur interculturel, avec l’Oeuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO).

Puis, j’ai fait un master en sciences de la communication – en communication interculturelle – à l’université de Lugano. J’ai le sentiment que ma formation a contribué à modifier l’image de l’imam auprès des gens que j’ai côtoyé.

swissinfo.ch: Lugano, qui est plutôt connue pour sa place financière, est aussi en quelque sorte un laboratoire interreligieux…

S.J.R.: Oui, un véritable exemple. La municipalité multiplie les plateformes de dialogue, dont certaines sont uniques en Suisse, comme le Forum de dialogue interreligieux, mis sur pied en partenariat avec le canton du Tessin. Nous avons aussi la Fête des voisins, et pour la troisième année consécutive, la Semaine des religions, notamment.

L’an dernier, l’évêque de Lugano, Monseigneur Pier Giacomo Grampa était venu nous rendre visite à cette occasion. Et même des membres de la communauté juive sont venus à la mosquée. Et à mon tour, j’ai été convié à tenir un discours à la synagogue de Lugano. Un grand moment d’émotion.

swssinfo.ch: Que penser des imams «amateurs»?

S.J.R.: L’imam est à la fois un point de référence de sa communauté et un pont avec la société. Son influence est indéniable. Or, le contexte dans lequel nous vivons exige une interprétation équilibrée de l’islam. Il n’y a pas de place pour des lectures égarées et extrémistes du Coran.

Les autorités fédérales ont constaté l’importance du rôle des imams dans la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Un domaine dans lequel la Suisse obtient d’ailleurs d’excellents résultats. Mais cet effort consenti par les imams doit être reconnu par les autorités. J’insiste sur ce point. A défaut d’une telle reconnaissance, c’est tout un capital de confiance et volonté qui sera perdu.

swissinfo.ch: La droite populiste est plutôt hostile à la formation des imams et dénonce la «promotion d’une société islamique parallèle»…

S.J.R.: Ce courant islamophobe m’inquiète. Il menace la paix sociale et religieuse. On craint que les jeunes musulmans ne fassent une lecture intégriste de l’islam à travers l’Internet? Soit. Le danger existe.

Dès lors, il faut trouver une stratégie afin de protéger ces jeunes – et partant, la société – contre ces écueils. Et là, j’ai vraiment des soucis…

Les efforts doivent venir des deux côtés. Si on demande aux musulmans de s’intégrer tout en acceptant que cette communauté s’enferme sur elle-même, on aura des problèmes plus tard…

swissinfo.ch: Quel regard posez-vous sur ces 12 derniers mois de querelles entre la Libye et la Suisse…

S.R.J.: Fort heureusement, à l’inverse des attentats du 11 septembre, l’affaire n’a pas porté préjudice aux musulmans de Suisse.

L’histoire et les fondements même de la Suisse nous enseignent que le consensus est la meilleure recette pour résoudre les différends de manière équilibrée. L’heure du dialogue est venue.

Mais il faut bien choisir son interlocuteur, qui n’est pas toujours celui que l’on croit… peut-être ne faut-il pas forcément s’adresser directement à Kadhafi… Pourquoi ne pas se tourner vers un savant musulman ou un chef de tribu africain… c’est ça l’art de la négociation.

Nicole della Pietra, Lugano, swissinfo.ch

Est né en 1969 à Tunis, d’un père tunisien et d’une mère andalouse.

Son père et son oncle sont tous deux des dignitaires religieux. Il est marié et père de deux enfants, nés à Lugano.

Baccalauréat en poche, il poursuit ses études de droit et de théologie en France.

Arrivé en 2000, en Suisse, au Tessin, il poursuit sa formation académique à l’Université de la Suisse italienne, et décroche un master en sciences de la communication sur la multi-culturalité dans l’islam à travers l’architecture des mosquées.

Actuellement, il prépare un doctorat. Il donne aussi un cours intitulé «Connaître l’islam», destiné à des enseignants et médiateurs tessinois.

Qui. L’imam est celui qui dirige la prière en commun. C’est en général la personne la plus compétente dans la connaissance des rites de l’islam.

Différences. Pour les chiites, tenant d’une tradition cléricale de l’islam, l’imam est le guide spirituel et temporel de la communauté islamique. Chez les duodécimains, il porte souvent le titre de mollah ou d’ayatollah. Le titre d’imam est plus usité dans le sunnisme.

Statut. Dans les communautés chiites, l’imam est le seul guide. Dans le sunnisme, la fonction d’imam est comparable à celle du pasteur protestant. L’imam ne fait pas partie d’une structure hiérarchique. Il est désigné par la communauté elle-même et ne prétend à aucun lien privilégié avec Dieu. Il peut être licencié s’il n’accomplit pas sa mission.

Lieu. En général, dans chaque mosquée, il y a un imam permanent qui officie et qui donne les sermons (Khutba) du vendredi.

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