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«L’Islam est devenu une religion européenne»

Keystone

L'intellectuel Tariq Ramadan affirme à swissinfo qu'il ne faut pas définir comme tels les musulmans d'Europe mais d'abord comme des membres de la société.

Nommé conseiller auprès du gouvernement britannique en matière d’extrémisme islamiste, il estime que l’Islam doit être reconnu aujourd’hui comme une religion européenne.

Ce philosophe est né à Genève et enseigne au St Antony’s College de l’Université d’Oxford. Figure controversée, Tariq Ramadan s’est vu refuser un visa pour les Etats-Unis l’année dernière, ce qui l’a empêché d’occuper une chaire de professeur à l’Université de Notre Dame (Indiana).

Agé de 43 ans, il est le petit-fils d’Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans en 1928. Accusé de soutenir les attentats en Israël et en Irak, Tariq Ramadan a condamné publiquement ceux du 11 septembre et de Londres, précisant qu’il s’oppose à la mort de victimes innocentes.

Populaire parmi les musulmans d’Europe, surtout de France, cet «intellectuel militant» a été interdit d’entrée dans des pays tels que l’Arabie saoudite, l’Egypte et la Tunisie.

swissinfo: Votre nouveau poste à Oxford compense-t-il le fait d’avoir été empêché d’assumer un poste aux Etats-Unis?

Tariq Ramadan: Non et il n’est pas besoin de compensation. J’étais prêt à m’installer aux Etats-Unis de manière permanente. J’ai reçu un immense soutien des milieux académiques lorsque les autorités ont suspendu le visa que j’avais obtenu après une procédure de deux mois.

Même dans l’administration Bush, des gens comme Colin Powell ont compris qu’ils avaient fait une erreur et m’ont demandé de faire une nouvelle demande. D’autres, dans cette administration, ne veulent pas que ma voix critique se fasse entendre aux Etats-Unis.

Quand je vois comment se comporte cette administration, être banni est plus une reconnaissance qu’une humiliation. Mais je ne suis pas rancunier. Le poste que j’occupe maintenant en Grande-Bretagne est intéressant et il semble y avoir de bonnes perspectives pour l’avenir.

La société britannique connaît mieux le monde musulman que les Américains. Elle a une approche différente. Mais il ne faut pas confondre les Etats-Unis avec les quelques néo-conservateurs qui entourent le président Bush et dirigent le pays.

swissinfo: Certains médias ne vous aiment pas. Pourquoi selon vous?

T. R.: Il y a beaucoup de gens qui soutiennent mon travail et beaucoup qui le critiquent. Dès le début, je savais que tout le monde n’apprécierait pas mon travail. J’essaie de construire des ponts entre deux mondes qui ne se connaissent pas très bien.

Il y a des gens qui considèrent que je suis trop occidental, et d’autres que je suis trop musulman. Je dérange certains parce que ce que je dis va à l’encontre de leurs vieilles certitudes, de leurs préjugés et même de leurs doutes. J’accepte ces critiques des deux mondes.

La grande majorité des critiques viennent de France. Je pense que j’y dérange des gens parce que je parle de religion, un thème qui a toujours été brûlant. Quelques-uns ont aussi un problème avec le fait que des musulmans sont devenus des citoyens français qui revendiquent les mêmes droits que n’importe qui.

Je ne suis pas apprécié parce que je dis aux Français qu’ils doivent regarder la réalité en face, et que je personnifie leurs peurs. J’accepte cela aussi, ce sont des tensions transitoires mais nécessaires.

swissinfo: Vous avez l’air de dire qu’il y a des citoyens de seconde zone en France. Compte tenu des événements actuels, l’intégration d’autres communautés, comme les musulmans, a donc échoué?

T. R.: C’est faux de dire que c’est l’échec d’un système. Chaque société peut régler des problèmes tels que ceux que rencontre la France avec des politiciens courageux et suffisamment créatifs.

Mais il est vrai qu’en France, le débat sur les musulmans c’est focalisé sur la religion, la laïcité et le voile – ce qui est faux, de mon point de vue – plutôt que sur le fait que la plupart des musulmans sont parfaitement intégrés sur le plan culturel et religieux.

Il faut réaliser que l’Islam est maintenant une religion européenne, que les musulmans français sont d’abord des citoyens français et des démocrates. Le problème est social et il s’agit d’une crise socio-économique. En France, il se trouve qu’il y a des citoyens de seconde zone qui ne sont pas reconnus par la société et n’ont pas accès à l’emploi ou à des conditions de vie décentes.

swissinfo: Vous avez la citoyenneté suisse. Pensez-vous que de tels problèmes pourraient survenir en Suisse?

T.R.: Je ne le crois pas. Les problèmes sociaux ne sont pas identiques. On ne trouve pas ici de ghettos comme en France. Des mesures préventives sont toutefois nécessaires.

Le réel problème est ailleurs. Certaines personnes soulèvent des questions qui n’ont pas lieu d’être et alimentent les desseins de l’extrême droite et de l’Union démocratique du centre (UDC, droite dure). Ils n’obtiennent pas plus de voix, mais influencent en revanche d’autres politiciens et le public. Une partie de la droite se sert de la crainte du musulman pour séduire des électeurs. Le risque est grand que la communication entre les communautés et les habitants se fissure.

swissinfo: Quelle est aujourd’hui la place d’un musulman en Europe?

T.R.: Notre identité est multiple. J’aime à dire que je suis de nationalité suisse, de culture européenne, avec un héritage égyptien, que je suis musulman de religion et que mes principes sont universalistes. Pouvoir le dire haut et fort signifie que vous avez de l’assurance. En revanche, lorsque vous n’êtes à l’aise ni dans votre peau, ni avec la société, votre identité se réduit à une seule dimension.

Pour gagner cette assurance, Il faut se respecter, se sentir respecté, comprendre la diversité de la société et être reconnu par la société. Un musulman européen contemporain doit être un citoyen de son pays, un témoin de ses croyances et être logique dans ses actions. J’estime que cette vision s’applique pour un juif, un chrétien, un bouddhiste ou un athée.

Interview swissinfo, Scott Capper
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger et Raphael Donzel)

Tariq Ramadan est né en 1962.
Son grand-père maternel est Hassan al-Banna, fondateur des des Frères musulmans en Egypte.
Son père, Said Ramadan, s’est enfui d’Egypte, où ce mouvement était persécuté, pour se réfugier en Suisse.
Tariq Ramadan a étudié la philosophie et la littérature française, et décroché deux doctorats: l’un en philosophie, l’autre en Islam.
En octobre 2005, il a commencé à enseigner au St Antony’s College de l’Université d’Oxford.

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