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Les limites d’un organe national pour les musulmans

Près de 700 musulmans ont protesé le 12 décembre sur la Place fédérale de Berne contre l'interdiction des minarets votée par le peuple suisse. Keystone

La création d’une organisation nationale pour les musulmans de Suisse, une idée qui court depuis la votation sur les minarets, est prématurée, selon des experts. Ils préconisent un travail de terrain entre la population suisse et sa minorité musulmane.

Après la désormais célèbre votation sur les minarets, Hisham Maizar a appelé à la création d’une organisation faîtière unique pour les musulmans de Suisse. Et ce dans une interview au Matin Dimanche, l’hebdomadaire le plus lu de Suisse romande.

«Nous aurions tous intérêt à être unis au niveau national», y déclarait le président de la Fédération des organisations islamiques de Suisse, tout en reconnaissant qu’une telle instance serait le fruit d’un processus lent et difficile.

Mais pour Stéphane Lathion, président du Groupe de recherche sur l’islam en Suisse à l’Université de Lausanne, se concentrer maintenant sur la création d’une organisation faitière pour les communautés musulmanes de Suisse serait comme mettre la charrue avant les bœufs.

Un travail de terrain

«La priorité doit aller au renforcement des liens quotidiens entre les associations musulmanes et le reste de la population suisse à l’échelon local», estime Stéphane Lathion. Avant de souligner: «Des journées portes ouvertes dans les mosquées ou le dialogue interreligieux ne suffisent pas. Il faut amener les gens à se parler plus et pousser les associations des communautés musulmanes à prendre position sur les problèmes spécifiques des musulmans et les questions sociales qui touchent l’ensemble de la société.»

Un point de vue que partage Hafid Ouardiri, secrétaire général de la fondation genevoise de l’Entre-Connaissance. «Une organisation faîtière en Suisse est un rêve partagé par beaucoup, mais vous ne pouvez pas mettre en place une telle organisation sans un important travail de terrain avec les différentes communautés.»

Initiative ministérielle

Parmi ses 7 millions d’habitants, la Suisse compte près de 400’000 musulmans, venus principalement de Bosnie, du Kosovo et de Turquie, mais aussi d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Ils sont représentés par une myriade d’organisations laïques ou religieuses, la plupart ayant un ancrage cantonal. Mais selon Stéphane Lathion, ces associations devraient encore mieux expliquer la nature de leurs activités pour dissiper les fantasmes et le malaise qu’elles peuvent susciter.

De son coté, la ministre de la justice Eveline Widmer-Schlumpf doit rencontrer pour la deuxième fois le 22 décembre un groupe de représentants musulmans, dont Hafid Ouardiri et Hisham Maizar. La rencontre doit tourner autour des questions d’intégration.

Une situation d’urgence

Hafid Ouardiri qui est également l’ancien porte-parole de la Mosquée de Genève, estime en effet que le vote sur les minarets démontre que les autorités suisses et les communautés musulmanes ont un gros chantier devant eux.

«Les autorités ont conscience que ce dialogue a pris du retard. Nous avons cherché à parler des problèmes d’intégration. Mais nous avons été contraints de nous concentrer sur les questions de sécurité.» Une allusion à la première de ces rencontres initiée par l’ancien ministre de la Justice Christoph Blocher.

Que cela leur plaise ou non, selon Hafid Ouardiri, les Suisses et leurs communautés originaires du monde musulman sont aujourd’hui confrontés à une situation d’urgence qui devait durer un certain temps et qui sera difficile à gérer.

«Nous devons reprendre le contrôle du débat, rassurer les gens et aller de l’avant. Car nous avons à vivre ensemble», estime cet artisan de longue date du dialogue interreligieux.

Manifestation pacifique

Pour l’heure, la votation sur les minarets a suscité plusieurs rassemblements de protestation. Ainsi, samedi dernier, un rassemblement pacifique de 700 personnes dénonçant la «perception erronée de l’islam en Suisse» s’est tenu devant le siège du gouvernement et du parlement suisse. Une manifestation qui n’a pas été entérinée par les principales associations musulmanes de Suisse.

«Ce n’est pas le meilleur moyen d’atteindre ceux qui pensent différemment ou de réduire leurs craintes et leurs préjugés», a déclaré à la télévision suisse alémanique Taner Hatipoglu, président de l’Association des organisations islamiques de Zurich. Un avis que ne partage pas Mélanie Muhaxheri, présidente de l’Organisation des femmes musulmanes en Suisse.

«En tant que musulmane, j’ai l’intention de défendre mes droits. D’abord les minarets, ensuite la burka, où s’arrêtera-t-on?» «Je suis citoyenne suisse. Je suis ici chez moi. Je veux donc jouir des mêmes droits que mes compatriotes chrétiens, juifs ou bouddhistes.»

Mélanie Muhaxheri estime que la création d’une organisation faitière est une idée raisonnable, mais difficile à réaliser: «On en parle depuis longtemps. Mais personne n’a réussi à trouver un accord sur ce projet.»

Surenchère populiste

Pour Stéphane Lathion, les prochaines étapes sont claires: «Les musulmans doivent poursuivre leur travail d’explication en montrant qu’ils sont des citoyens suisses comme les autres et que les craintes qu’ils suscitent sont infondées.»

«De leur coté, souligne Stéphane Lathion, les politiciens suisses devraient faire un mea culpa public en reconnaissant qu’ils n’ont pas fait leur travail correctement.» Soit tout le contraire des propos qu’ils ont tenu ces deux dernières semaines, selon le chercheur.

«Je pensais qu’après le résultat de cette votation, la population suisse allait se réveiller et qu’un véritable débat allait s’instaurer. En fait, nous assistons à une surenchère populiste extrêmement dangereuse de partis soi-disant centristes.»

Simon Bradley, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’anglais: Frédéric Burnand)

Le 29 novembre, 57,5% des suffrages exprimés ont approuvé une initiative populaire intitulée tout simplement «contre la construction de minarets».

La Suisse est le premier pays européen à inscrire dans sa constitution l’interdiction de construire des minarets.

Quelques projets de construction de minarets dans la partie germanophone de la Suisse ont été le catalyseur de l’initiative. La population locale a décidé de collecter des signatures contre ces projets.

Ils étaient soutenus par l’UDC (droite conservatrice) et l’Union démocratique fédérale (parti évangéliste conservateur).

Les communautés musulmanes représentent environ 4,5% de la population suisse.

Il ya environ 200 mosquées et salles de prière en Suisse, dont 4 sont décorées d’un minaret.

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