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Discrimination des Suisses d’outre-mer

S'ils le souhaitent, les petits-enfants d'Ernesto Freuler et Agda Sundberrie devraient pouvoir récupérer leur nationalité suisse. Latinphoto

Un député suisse a découvert que des conditions injustes étaient posées aux descendants de Suisses d'Amérique latine souhaitant récupérer le passeport à croix blanche. Le Genevois Antonio Hodgers a déposé une motion qui semble en bonne voie.

«Je suis moi-même originaire d’Argentine et j’ai été invité aux festivités du 1er Août 2008 à l’ambassade de Suisse à Buenos Aires. J’ai eu grand plaisir à voir ces Suisses et descendants de Suisses agiter leurs fanions et chanter. Ils ont même créé un institut du fromage à raclette argentin (excellent). Je me retrouve dans cette vision croisée au-dessus des cultures!»

A cette occasion, le jeune conseiller national écologiste a entendu des plaintes à propos d’une directive durcissant les conditions à remplir pour récupérer la nationalité suisse.

A son retour d’Argentine, Antonio Hodgers mène l’enquête. Il découvre que l’Office fédéral des migrations (ODM) avait précisé en 2005 les conditions à remplir par les petits-enfants de Suisses expatriés pour prouver leurs «liens étroits» avec la Suisse – les enfants de père et/ou de mère suisses y ont automatiquement droit.

Il s’agit notamment d’avoir effectué deux voyages en Suisse en dix ans. Pour tenir compte de l’éloignement, l’ODM avait alors précisé: «les personnes vivant en Amérique du Sud ne sont souvent pas en mesure de financer un voyage en Suisse. Dans de tels cas, il faut se référer à d’autres critères pouvant indiquer l’existence de liens étroits avec la Suisse…».

Discrimination financière

Et voilà que, deux ans plus tard, les ambassades suisses ont reçu un contre-ordre qui exclut les «personnes qui n’ont jamais ou seulement une fois visité la Suisse, même si toutes les autres conditions sont remplies».

«Je trouve ça légitime à la rigueur pour des Suisses d’Espagne, mais pour ceux d’Amérique latine, ce n’est pas acceptable car, avec un salaire de classe moyenne, un voyage représente trois à six mois de salaire, voire douze pour quelqu’un qui vit au Paraguay», s’insurge Antonio Hodgers.

Réponse de Jonas Montani, porte-parole de l’ODM: «Il faut dire que la nouvelle loi sur la naturalisation, entrée en vigueur au 1er janvier 2006, étend la possibilité de récupérer le passeport suisse à la 3e génération des enfants d’expatriés. Elle supprime une autre contrainte importante: il fallait auparavant que les candidats résident en suisse pour faire leur demande.»

«En outre, ajoute M. Montani, il s’agit d’appliquer le même traitement à tous.» Et de préciser que des exceptions sont toujours possibles car chaque demande de naturalisation est examinée individuellement.

Antonio Hodgers n’est pas convaincu. «En politique migratoire, on a déjà la logique des étrangers des 1er (Européens) et 2e (hors Schengen) cercles. C’est comme si on voulait l’appliquer aux Suisses, c’est discriminatoire!»

Motion parlementaire

En septembre, il a donc déposé une motion demandant au gouvernement de compenser le critère des séjours en Suisse par d’autres preuves de l’existence d’un lien avec le pays, comme la connaissance de l’histoire, de la géopolitique, d’une des langues, etc.

Il a été vivement encouragé par l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE). «L’amour de la patrie ne peut être mesuré par le nombre de voyages», renchérit son président, Jacques-Simon Eggly.

Ce dernier avoue ne pas avoir été au courant. «Il y a des choses qui nous échappent. Antonio Hodgers a certainement mis le doigt sur quelque chose de très important!»

«Mais, de manière plus générale, nous sommes préoccupés par le fait qu’il y a des gens ne pouvant venir assister à nos congrès annuels en Suisse pour des raisons économiques», regrette M. Eggly.

Pas d’invasion massive

Les Argentins avaient déjà été mis a rude épreuve par la crise économique de 2005. Peut-on, en ces temps de crise financière mondiale, s’attendre à une vague de retours?

«C’est clair que la situation économique est un facteur de migration, répond Antonio Hodgers. Bien sûr qu’avec ce qui se passe actuellement, les gens se renseignent. Sur 1,5 million d’étrangers vivant en Suisse, les candidats argentins ne seraient probablement que quelques centaines, voire quelques milliers.»

De son côté, l’ODM a recensé 13 demandes de récupération de la nationalité suisse en 2007, dont 4 d’Amérique du Sud.

Le miroir des Suisses d’Argentine

Mais c’est une question de principe, et Antonio Hodgers est optimiste: tous les groupes parlementaires sont favorables à sa motion, y compris la droite nationaliste de l’UDC (cette dernière privilégie les liens du sang dans ce domaine).

«De plus, ajoute le Genevois, une grande partie des signataires sont membres de la Commission des institutions politiques du Conseil national, qui est précisément appelée à traiter ces sujets.»

Le sujet tient à cœur à ce jeune Argentin venu en Suisse en 1981 à 6 ans avec sa mère. «Je me considère comme le miroir de ces gens: je n’ai pas de sang suisse, mais mon parcours migratoire, motivé par des raisons plus politiques qu’économiques certes, est une sorte de chemin inverse du leur.»

swissinfo, Isabelle Eichenberger

En 2007, plus de 668’000 citoyens suisses vivaient à l’étranger.

Avec 15’372 en Argentine, il s’agit de la plus grande communauté d’Amérique latine, devant le Brésil (13’956), le Mexique (4790) et le Chili (4000).

Si l’on tient compte des enfants et petits-enfants d’émigrés, la communauté suisse dépasse les 100’000 personnes en Argentine.

Par filiation. Comme l’Allemagne et l’Autriche, la Suisse connaît l’acquisition de la nationalité par filiation paternelle ou maternelle.

Droit du sol. D’autres Etats, soit des pays d’immigration comme les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, le Canada ou l’Australie connaissent l’acquisition de la nationalité en fonction de la naissance sur le sol national.

Mixte. Plusieurs Etats, tels que la France et l’Italie, ont opté pour un système mixte.

Bien évidemment, la nationalité acquise par l’un ou l’autre des systèmes précités n’implique aucun processus de naturalisation.

Loi fédérale. Quant à l’acquisition de la nationalité suisse par filiation, elle est réglementée au plan fédéral par la loi fédérale sur la nationalité.

Les bureaux d’état-civil relèvent une augmentation des demandes de récupération de la nationalité suisse visant des avantages financiers.

Dans celui de Fribourg, sa directrice Jacqueline Crausaz indique qu’«environ 20% des demandes visent à récupérer la nationalité d’anciens migrants pour trouver en Suisse des jours meilleurs».

Motif: la nouvelle loi fédérale sur la naturalisation permet à des étrangers de retrouver la nationalité abandonnée par leurs parents ou grands-parents. De plus, la nationalité est désormais transmissible par les femmes.

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