«En France, les gouvernants ont peur de leur peuple»
Claude Godard est le représentant du Parti socialiste (PS) suisse pour les Suisses de France. Ce Franco-Suisse, qui porte un regard critique sur l’éclatement de la gauche, aimerait que la politique française s’inspire de la Suisse pour évoluer.
«Être membre du Parti socialiste en Suisse me permet d’avoir une vision décalée sur la vie politique française», déclare Claude Godard. Pour le Franco-Suisse de 66 ans, c’est aussi une façon de maintenir un lien avec son pays d’origine.
Né en France, Claude Godard est suisse par ses grands-parents, qui ont quitté leur Valais natal pour s’installer dans les Alpes-Maritimes (département du sud-est de la France qui borde la mer Méditerranée) en raison de problèmes de santé, «mais aussi de dissensions familiales et pour fuir la misère».
Si le retraité de l’administration française réside désormais à Poitiers (centre ouest), il a longtemps vécu à Paris et à l’étranger consécutivement à ses études de langues et les différents concours administratifs qu’il a passés.
Bien qu’il n’ait jamais habité en Suisse, il s’y rend dès que possible pour rendre visite à sa famille en Valais ou pour assister à des congrès du Parti socialiste. Car Claude Godard est plus qu’un simple membre du PS: il est responsable du parti pour les Suisses de France.
Aucune chance pour la gauche
Toutefois, il n’est pas membre du Parti socialiste français: «Ce qui me séduit dans le PS suisse, c’est tout ce qui ne me séduit pas dans le PS français». Il salue «la diversité, l’ouverture et le respect des fondamentaux historiques» des socialistes suisses. Il considère en revanche que le PS français «n’a plus réellement de colonne vertébrale depuis l’époque Mitterrand», c’est-à-dire depuis le milieu des années 1990.
À l’approche imminente d’une nouvelle élection présidentielle (le premier tour aura lieu le 10 avril), Claude Godard fustige l’inertie de la gauche française. «Depuis cinq ans au moins, la gauche n’a travaillé ni ses idées, ni ses programmes», dit-il. Il ne comprend pas comment, dans les conditions d’éclatement que la gauche connaît au minimum depuis la campagne présidentielle de 2017, aucun travail de fond n’ait été mené.
L’élection présidentielle française vue par les Suisses de France
La France est le pays qui accueille la plus grande communauté de Suisses de l’étranger avec près de 201’000 personnes officiellement inscrites auprès des représentations consulaires.
Avant la prochaine élection présidentielle qui aura lieu les 10 (premier tour) et 24 avril (second tour) 2022, SWI swissinfo.ch a décidé de recueillir le témoignage de Suisses de France actifs – ou l’ayant été – dans les principaux partis politiques suisses, dans le but d’obtenir une vue helvétique sur la politique française.
Les partis suisses représentés sont: Parti socialiste (PS, gauche), Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), Le Centre (anciennement PDC, centre), Les Vert-e-s (gauche).
Malgré les chances qu’il considère comme inexistantes de voir un candidat de cette partie de l’échiquier politique passer le premier tour, il restera «fidèle à [ses] idées» et votera pour Anne Hidalgo, qui représentera le Parti socialiste à l’élection. Actuellement, celle-ci recueille environ 2% des intentions de vote.
La faute à qui?
Claude Godard constate que «la société française se crispe, se rétracte». C’est, selon lui, la raison pour laquelle les candidates et candidats de droite et d’extrême droite affichent des intentions de vote aussi importantes. Les derniers sondagesLien externe créditent en effet l’extrême droite de plus de 33% des voix, toutes candidates et candidats confondus.
Pour autant, il n’impute pas ces scores remarquablement hauts à l’effondrement de la gauche. Il déplore plutôt qu’Emmanuel Macron ait fait «exploser la gauche il y a cinq ans» et qu’il soit désormais «en train de faire exploser la droite».
Pour Claude Godard, Emmanuel Macron se présente comme le candidat du milieu, du «en même temps». «En même temps à droite, en même temps à gauche, c’est-à-dire nulle part», lâche-t-il.
Une culture du dialogue inexistante
Il est d’avis que le président sortant et son gouvernement n’ont pas su anticiper les crises qui ont secoué la France ces cinq dernières années. Et de citer les Gilets jaunes, la crise des systèmes hospitalier et scolaire, l’appauvrissement du service public ou encore le délaissement des zones rurales au profit des métropoles.
Selon le sexagénaire, la montée des tensions sociales en France provient d’un manque de dialogue avec les corps intermédiaires, qu’il trouve particulièrement prégnant sous l’ère Macron. «Si l’on ne met pas en place cette culture du dialogue, on n’écoute personne. Et quand on n’écoute personne, on va au conflit».
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Les corps intermédiaires sont des groupes sociaux comme les syndicats, les associations, les partis politiques ou encore certaines institutions. Ils servent d’amortisseur et de relais entre l’État français et la société civile.
Le «psychodrame» de la centralisation
Pour Claude Godard, l’histoire de son pays de naissance repose sur le principe d’une République une et indivisible. C’est pourquoi l’idée de donner plus de pouvoir aux régions, comme dans un État fédéral, «porte immédiatement atteinte à l’unicité» de la République.
Il donne l’exemple de l’apprentissage des langues régionales (breton, basque, alsacien) qui, très longtemps, a été interdit «parce qu’elles auraient mis en péril LA République française». «Cela relève du trouble psychiatrique collectif», ajoute-t-il avec un sourire narquois.
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Comptabiliser les votes blancs
Claude Godard loue le lien démocratique direct qui existe avec la population en Suisse et qui représente «un moyen d’expression du mécontentement». Il pense qu’instaurer un système de démocratie directe en France serait «non seulement réalisable, mais surtout souhaitable».
Selon lui, cela permettrait de résoudre la profonde crise démocratique que connaît le pays. «Quand on sait que certaines personnes ont été élues avec moins de 15% des inscrites et inscrits sur les listes électorales, cela interroge», déplore-t-il. C’est pourquoi il milite pour le comptage des votes blancs, qui donneraient «une image réelle du choix de la population» aux élections.
Restaurer le lien démocratique
Si le Franco-Suisse ne s’est pas reconnu dans le mouvement des Gilets jaunes, il est d’accord avec eux sur un point: «Il faut rétablir le lien démocratique». Mais pour ce faire, «il ne faut pas avoir peur de son peuple. Et je crois qu’en France les gouvernants, y compris ceux du PS, ont peur de leur peuple».
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À l’heure actuelle, seuls quelques candidates et candidats portent dans leurs programmes l’idée d’insuffler plus de démocratie participative, en particulier Jean-Luc MélenchonLien externe (La France insoumise, extrême gauche), qui propose d’instaurer un référendum d’initiative citoyenne (RIC) et un référendum révocatoire. Les citoyens qui réuniraient suffisamment de signatures pourraient ainsi révoquer des élu-es, convoquer une Constituante, proposer ou abroger une loi.
Au référendum, d’autres candidates et candidats préféreraient l’introduction de la représentation proportionnelle, un système électoral où les élu-es de chaque liste sont en nombre proportionnel à celui des voix obtenues par cette liste. Aujourd’hui, la France fonctionne avec un système majoritaire.
Vivre la démocratie
En tant que membre d’un parti politique, Claude Godard défend l’exercice du droit de vote, mais il croit surtout que «le plus important est ce qu’il se passe entre deux élections». Pour lui, la démocratie doit se vivre au quotidien, de façon continue. «Cela demande beaucoup de pédagogie», concède-t-il. «Il faut expliquer le pour et le contre, très clairement », à l’image de ce que fait la Suisse lors des votations.
Le Franco-Suisse avertit: «Les feux sont à l’orange, voire au rouge, mais le système politique ne s’arrête pas». Il aimerait que la France s’approche d’un modèle plus fédéral, pour donner plus de pouvoir aux régions, coller au plus près des préoccupations des gens et introduire plus de démocratie. «Tout un chantier s’ouvre, mais aucun parti ne semble vouloir réellement reprendre cette dynamique à son compte».
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