En Syrie, les opposants découvrent l’opposition
Malgré de multiples rencontres, les différents courants de l’opposition au régime el-Assad peinent à s’unir. Pour swissinfo.ch, trois spécialistes esquissent les dynamiques à l’œuvre au sein de l’opposition et ce qu’elles augurent de l’après-Assad.
Avec la militarisation croissante de la crise syrienne, deux dynamiques se superposent au sein de l’opposition, selon le chercheur allemand Heiko Wimmen. «Au début de l’insurrection, les manifestations ont initié un processus politique au travers d’une résistance civile. C’est la première dynamique.
La 2e dynamique, elle, découle de la résistance armée née, selon les opposants, de la nécessité de protéger les manifestants. Comme la résistance armée prend de plus en plus d’ampleur, les acteurs extérieurs, comme l’Arabie saoudite et le Qatar, deviennent de plus en plus influents puisque les rebelles ont besoin d’armes et que leurs ressources sont limitées», explique ce chercheur à la Stiftung Wissenschaft und Politik de Berlin, un institut de recherche indépendant.
Risque d’éclatement
Et Heiko Wimmen de poursuivre : «Plus le conflit dure, plus les groupes armés pèseront sur l’après-Assad. Alors, soit les forces rebelles se structurent, jouent la transparence et rendent des comptes, soit elles se transforment en milices incontrôlables menées par des seigneurs de guerre avec leurs ressources, leurs territoires, leurs règles. Après la chute de Bachar el-Assad, il faudra les amener à la table de négociation et leur donner des positions dans la nouvelle Syrie. Ce qui ne serait pas de bon augure pour l’avenir démocratique de la Syrie.
Dans ce cas de figure, ceux qui financent les groupes rebelles deviendraient les vrais décideurs de la Syrie, que ce soit l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Quant au reste des troupes loyalistes, elles deviendraient l’instrument de l’Iran en Syrie.»
L’entrée en scène de groupes terroristes assombrit encore plus le futur de la Syrie. Selon le chercheur Yves Besson, «Il y a bien une menace djihadiste avec des groupes qui obéissent à différents ordres qu’il est difficile d’identifier, sauf pour les services secrets. »
Et l’ancien diplomate suisse de rappeler : «Venus de Syrie dans les années 2005-2007, les islamistes qui avaient fourni le gros du contingent d’Al Qaeda en Irak passent la frontière dans l’autre sens. Nombre d’entre eux sont d’ailleurs syriens. »
Besoin de transparence
Ce qui fait dire à Heiko Wimmen : «Si la résistance armée est capable de s’organiser avec des structures claires de responsabilité, qu’elle est capable de savoir qui fait quoi sur le terrain – ce qu’elle essaye de faire actuellement – il sera plus facile d’isoler les terroristes.»
De fait, la poursuite de la guerre civile donne au moins du temps aux différents courants de l’opposition pour trouver un terrain d’entente sur l’après-Assad.
Comme le relève Hasni Abidi, directeur à Genève du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, «Ce qui distingue l’opposition syrienne des autres révolutions arabes, c’est le nombre impressionnant de leur réunions, que ce soit à Istanbul, au Caire, à Rome ou à Berlin. Il y a en effet une prise de conscience des divergences de taille sur la transition et l’après Assad. Les opposants doivent en effet apprendre à négocier. »
Heiko Wimmen rappelle les étapes passées: «L’ambition initiale du Conseil national syrien (CNS) était de fournir la seule plateforme de l’opposition et il y a eu beaucoup d’efforts pour avoir le plus de gens et de courants à bord. Jusqu’à l’année dernière, le CNS a négocié avec le Comité de coordination national pour le changement démocratique (CCNCD, une autre coalition politique, ndlr). Mais cela a débouché sur un échec, tout comme les discussions avec les Kurdes de Syrie. Depuis, on observe plus de fragmentation que d’unification.»
Apprendre à s’opposer
Et le chercheur allemand de faire le constat suivant: «Peut-être que de vouloir placer dès le début tout le monde sous le même chapeau (CNS) n’était pas la bonne approche. Il aurait peut-être été préférable de mener des discussions pour trouver des points de convergence et des principes communs plutôt que de déployer de l’énergie pour constituer un organisme structuré qui parle au nom de toute l’opposition. »
En outre, selon Heiko Wimmen, l’opposition de l’intérieur semble peu représentée hors de Syrie.
Hasni Abidi estime, lui, que l’opposition de l’intérieur prime toujours sur celle de l’extérieur. «La Commission générale de la révolution syrienne (CGRS) et les comités locaux de coordination (CLC) ont pris une importance croissante en revendiquant leur proximité avec la population. Le CNS, lui, rassemble des centaines de personnes pour satisfaire tous les courants et rencontre d’énormes difficultés.
C’est pourquoi les chancelleries occidentales n’ont pas voulu reconnaitre l’un ou l’autre comme interlocuteur légitime parce que la représentativité est partagée entre ces deux instances, les deux se disputant le lien étroit avec l’Armée syrienne libre (ASL). »
Si les divisions de l’opposition affaiblissent son combat contre le régime syrien, elles expriment aussi une réalité démocratique. «L’opposition est éclatée car, à l’exception des Frères musulmans de Syrie, elle découvre l’opposition. L’insurrection syrienne permet justement la construction d’une opposition qui n’existait pas auparavant dans un pays verrouillé par la dynastie Assad», rappelle Hasni Abidi.
Une stabilité mortifère
Or pour Yves Besson, c’est bien là que réside le danger : «La Syrie, c’est un Liban à la puissance X du point de vue du chaos potentiel, avec cette énorme différence que le Liban est depuis des décennies habitué à gérer l’instabilité de par les formes relativement démocratiques que le système libanais a revêtues depuis le début. Et la seule fois où les Libanais n’ont pas su la gérer, ils sont tombés dans la guerre civile. »
Durant 6 mois environ, une cinquantaine de représentants des différents courants de l’opposition syrienne se sont réunis dans la capitale allemande.
Ces négociations se sont tenues sous l’égide de l’Institut américain pour la paix (USIP) et de la Fondation allemande de sciences politiques (Stiftung Wissenschaft und Politik).
Baptisée « The Day After » (Le jour d’après) ces réunions avaient pour objectif de définir des mesures concrètes à appliquer dans les premiers jours suivant la chute du régime pour éviter au pays de sombrer dans un chaos politique et économique.
Selon le chercheur Hasni Abidi, ces réunions n’étaient pas politiques, mais pédagogiques
Des recommandations seront publiées à la fin du mois d’août à Berlin.
Le ministère suisse des affaires étrangères (DFAE) a mis à disposition de la Fondation 50’000 euros «afin de couvrir une petite partie de la logistique».
Explications du porte-parole Pierre-Alain Eltschinger:
«La Suisse, en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité et la déclaration de Genève du Groupe d’Action, soutient les efforts visant à une transition pacifique et ordonnée en Syrie.
La rédaction d’un plan de transition par un groupe représentatif de toutes les communautés vivant en Syrie s’inscrit dans cet objectif.
L’élaboration de ce plan de transition, qui démontre qu’une logique de paix est possible, a été réalisée par des Syriens de toutes tendances lors de discussions menées sous l’égide de la Stiftung Wissenschaft und Politik à Berlin.»
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