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«L’approche de Barack Obama est intelligente»

Des experts de l'ONU inspectent un site qui aurait été le théâtre d'une attaque au gaz dans la banlieue sud-ouest de Damas. Reuters

Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et leurs alliés se préparent en vue d’une probable frappe militaire contre la Syrie, qui pourrait intervenir ces prochains jours. Avec pour objectif sous-jacent de forcer les parties à se mettre à la table des négociations, estime le politologue Markus Kaim.

L’envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, l’a martelé haut et fort mercredi: le droit international est clair, il exige l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU pour toute action militaire en réponse à une attaque présumée à l’arme chimique perpétrée la semaine dernière à Damas.

Mais les dirigeants occidentaux ont clairement indiqué qu’ils étaient prêts à intervenir sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. Pour justifier des frappes punitives limitées et obtenir un large soutien international, ils ont rappelé de précédentes interventions similaires qui visaient également à protéger les civils.

Le ministère suisse des affaires étrangères (DFAE) a fermement condamné mercredi «les graves violations du droit international humanitaire qui ont culminé avec l’usage présumé d’armes chimiques» en Syrie. Il en appelle à la responsabilité de toutes les parties.

«La Suisse est extrêmement préoccupée par la situation politique et humanitaire en Syrie», a fait savoir le DFAE dans un communiqué. Pour les services du ministre des affaires étrangères Didier Burkhalter, «tout doit être entrepris, d’urgence, pour protéger la population civile, conformément aux règles humanitaires».

La Suisse déplore qu’aucune «réponse internationale commune et efficace face à la tragédie syrienne» ne soit trouvée au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies. Rappelant les efforts de la Confédération en faveur d’une action politique (la Déclaration de Genève), le DFAE souligne la nécessité d’une nouvelle conférence à Genève, «comme souhaité et accepté par d’importants acteurs syriens et internationaux».

Sur le terrain, la Suisse «continuera de déployer ses efforts humanitaires en Syrie et dans les pays limitrophes qui connaissent un afflux de réfugiés». Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a enregistré deux millions de réfugiés, la plupart dans les pays voisins. Par ailleurs, la Syrie totalise quelque 3,6 millions de déplacés internes.

Pendant ce temps, des experts onusiens enquêtent sur une attaque au gaz qui aurait tué des centaines de civils dans un quartier de la banlieue de Damas tenu par les rebelles. Ils ont franchi mercredi pour la deuxième fois la ligne de front afin de prélever des échantillons. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a plaidé pour que les experts disposent du temps nécessaire pour venir à bout de leur mission. Mais les Etats-Unis et leurs alliés ont déjà jeté l’opprobre sur Bachar al-Assad pour cette attaque sans attendre les résultats de la mission onusienne.  

Décryptage des enjeux avec Markus Kaim, professeur de sciences politiques à l’université de Zurich.

swissinfo.ch: Après avoir minimisé la nécessité d’un débat au Conseil de sécurité, la Grande-Bretagne a présenté mercredi une résolution «condamnant l’attaque chimique» du 21 août et «autorisant les mesures nécessaires afin de protéger les civils». David Cameron exige que «l’ONU prenne ses responsabilités sur la Syrie». Que pensez-vous de cette résolution et de son probable résultat?

Markus Kaim: Compte tenu de la division entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d’un côté, la Chine et la Russie de l’autre, il n’y aura pas de résolution autorisant l’usage de la force conformément au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies dans un avenir proche. Je ne peux pas imaginer que le gouvernement russe envisage sérieusement de prendre de telles mesures.

Il s’agit toutefois à mon sens d’un une étape intelligente, car même si le projet de résolution tombe à l’eau, il permettra à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis d’expliquer à l’opinion publique internationale qu’ils ont tenté tout ce qui était possible dans le cadre de l’ONU pour légaliser et légitimer leur action, qui n’est pas légale d’un point de vue du droit international. En d’autres termes, il s’agit de créer une légitimité en absence de légalité.

swp-berlin.org

swissinfo.ch: Pensez-vous que les Etats-Unis et leurs alliés procèderont de la même manière qu’au Kosovo en persuadant l’OTAN de s’impliquer voire même de conduire les opérations militaires?

M.K.: Le cas du Kosovo paraît au premier abord assez semblable, mais il est très différent à bien des égards. Au Kosovo, l’OTAN n’avait pas de mandat du Conseil de sécurité pour une intervention militaire. Toutefois, plusieurs résolutions envisageant l’utilisation de la force avaient été formulées sous forme d’ultimatums au gouvernement serbe. Dans le cas de la Syrie, on ne peut pas se référer à de telles résolutions du Conseil de sécurité.

Mais je ne serais pas surpris si les Etats-Unis tentaient de rallier l’OTAN et d’impliquer le plus de partenaires possible afin de soutenir l’action d’un point de vue politique. Je suis certain que les Etats-Unis ont déjà discuté avec l’Arabie saoudite, le Qatar ou encore la Jordanie. La Turquie s’est pour sa part déjà annoncée partante pour une opération militaire. Plus le soutien régional sera fort, plus une action pourra être considérée comme légitime par la communauté internationale.

De 2011 à juin 2013, la Suisse a reçu près  de 2500 demandes d’asile de la part de citoyens syriens.

Durant la même période, près de 260 Syriens ont obtenu le statut de réfugiés et 750 une protection temporaire (admission provisoire).

Sur demande du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), la Suisse a par ailleurs accueilli deux contingents de 36 et 37 personnes, dont 39 enfants.

Interpellée par plusieurs parlementaires suisses préoccupés par la situation en Syrie, la ministre de Justice et Police Simonetta Sommaruga a déclaré mercredi être en contact avec le HCR, sans pour autant préciser si un autre contingent de réfugiés pourra trouver refuge en Suisse.

swissinfo.ch: Quels objectifs prioritaires décelez-vous dans cette probable intervention militaire?

M.K.: Le premier consiste à punir ou à sanctionner l’utilisation d’armes chimiques. Le second ne vise pas à renverser le régime en place. Si tel était le cas, nous assisterions à un processus de planification très différent, qui inclurait l’engagement de forces terrestres. Il ne s’agit pas non plus de mettre en place des zones d’exclusion aérienne ou des couloirs humanitaires, qui nécessiteraient également des forces au sol. Selon moi, il s’agit davantage de délivrer un message politique dans le cadre du processus de Genève II qui aurait dû débuter au mois de juin.

L’objectif politique global est d’envoyer un message clair à Bachar al-Assad et à ses représentants, afin qu’ils se rendent à Genève pour entamer des négociations avec les rebelles. La semaine prochaine aura par ailleurs lieu le sommet du G20 à Saint-Pétersbourg. Il pourrait être utilisé par la diplomatie si une attaque avait lieu ce week-end. Cela contraindrait Damas, Moscou, Téhéran et le Hezbollah à revoir leurs options politiques.

Une initiative politique verra peut-être le jour à Saint-Pétersbourg. Et il est possible que les Etats-Unis se montrent assez intelligents pour laisser aux Russes le soin de présenter cette initiative diplomatique. Mais tout cela n’est que pure spéculation.

Ces prochains jours, on pourrait assister à des attaques punitives, à quoi succédera une fenêtre d’opportunité pour la diplomatie. Si ce n’est pas le cas, les options militaires feront leur retour sur la table. Mais l’intervention militaire n’est pas une stratégie à long terme. C’est une approche pas à pas très intelligente menée par Barack Obama.

swissinfo.ch: Etes-vous d’accord avec les voix critiques qui affirment que des attaques punitives limitées ne feront que verser de l’huile sur le feu en Syrie et dans la région?

M.K.: Non, pas vraiment. Le conflit dure depuis près de deux ans et a dégénéré sans que l’Occident ne s’implique militairement. Les attaques punitives pourraient au contraire être vues comme un moyen d’empêcher le conflit de s’étendre au Liban, en Irak et ailleurs au Moyen-Orient. 

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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