«L’Iran est méconnu et mal compris»
Il y a trente ans, l'ayatollah Khomeiny instaurait la République islamique en Iran. Aujourd'hui, ce pays est au ban de l'Occident, mais le changement de président à Washington pourrait modifier la donne, estime Tim Guldimann, ancien ambassadeur suisse en Iran.
Si cette hypothèse se matérialisait, cela mettrait fin à trente ans de bons offices de la Suisse, qui représente en Iran les intérêts des Etats-Unis. Ambassadeur de Suisse en Iran de 1999 à 2004, actuellement en congé du service diplomatique, Tim Guldimann suit très attentivement la situation dans la région.
swissinfo: La révolution islamique a trente ans cette année. Que cherche l’Iran?
Tim Guldimann: Le respect et la reconnaissance de son rôle de puissance régionale par l’Occident, et spécialement par les Etats-Unis. Or, l’Iran est devenu un paria, pour différentes raisons, notamment la prise de l’ambassade américaine en 1979 ou la révolution islamique et les atteintes aux droits de l’homme.
Mais si, objectivement, on le compare à d’autres pays, surtout en ce qui concerne les droits de l’homme et la démocratie, il y a toutes les raisons de penser qu’il est méconnu et mal compris. Ce pays a certes ses contradictions et ses défauts, mais il faudrait lui donner le rôle qui devrait être le sien, car il offre un grand potentiel.
swissinfo: Alors que la polémique sur le nucléaire iranien fait rage, Téhéran lance son premier satellite. Certains craignent que son programme spatial lui serve à développer des missiles balistiques…
T. G.: Officiellement, l’Iran nie tout lien entre son programme nucléaire et son programme militaire. Il est clair que ce pays a l’intention d’arriver à une capacité nucléaire mais, en même temps, le guide suprême a nié officiellement toute intention militaire de ce programme. Bien sûr, certains développements suscitent des doutes, d’autant que la production d’énergie nucléaire coûte très cher, mais nous en sommes encore loin.
Ce que je trouve très important, c’est la fierté de ce pays qui veut montrer à sa population et au monde qu’il est capable aussi dans le domaine technologique. Souvenez-vous du choc provoqué par le Spoutnik: l’URSS a voulu montrer qu’elle était une grande puissance. L’Iran fait pareil en lançant «son» satellite, symbole de progrès technologique et de prestige.
swissinfo: Faut-il avoir peur de l’Iran?
T. G.: Ce n’est pas l’Iran qui est dangereux, mais une confrontation avec l’Iran. Une escalade pourrait l’encourager à développer vraiment le nucléaire militaire et, donc, le rendre dangereux. Personnellement, je n’ai pas peur des intentions iraniennes.
swissinfo: Pourquoi les relations avec la «Communauté internationale» sont-elles si crispées?
T. G.: C’est surtout une attitude occidentale. La Russie, par exemple, joue un jeu différent, malgré le fait que les relations entre les deux pays sont très difficiles pour des raisons historiques. Mais Moscou dit ne pas avoir peur du nucléaire iranien, même si elle a voté les sanctions de l’ONU suite au refus de l’Iran d’arrêter l’enrichissement de l’uranium.
De même la Chine. Elle s’inquiète d’une course à l’armement nucléaire dans la région, et aussi certains pays arabes, mais les choses ne sont pas si simples et on ne peut dire que toute la communauté internationale serait contre l’Iran.
swissinfo: De plus en plus de voix proposent d’associer l’Iran aux efforts de stabilisation en Afghanistan. Barack Obama a déclaré préférer une «approche plus diplomatique que militaire». Le vent tourne-t-il?
T. G.: C’est ce que Barack Obama a annoncé, c’est vrai, mais il ne faut pas sous-estimer les dégâts causés par le gouvernement Bush. Pour l’Afghanistan, l’Iran a eu une attitude très constructive après le 11 septembre, jusqu’à ce que, en janvier 2002, il se retrouve (avec l’Irak et la Corée du Nord Ndlr) mis par Washington dans l’«axe du diable».
Pendant ces trois mois, Téhéran a apporté un appui très substantiel aux efforts occidentaux en Afghanistan: lors de l’attaque américaine contre les talibans et lors de la conférence de Bonn pour l’établissement du gouvernement de Hamid Karzaï.
L’Iran s’est donc estimé bien mal remercié par les Etats-Unis, et ce n’est pas étonnant qu’il se montre réticent à aider les Occidentaux. Cela dit, Téhéran et Kaboul ont intérêt à entretenir un bon voisinage et je n’exclurais pas que l’Iran change d’attitude dans ces efforts de stabilisation régionale s’il obtient le respect désiré de la part des Etats-Unis.
swissinfo: Le 12 juin aura lieu l’élection présidentielle, avec la candidature de l’ex-président réformateur Mohammed Khatami. Cela pourrait changer la donne?
T. G.: Oui, car avec Khatami, il y a un vrai choix entre deux candidats très différents et, ce, malgré les restrictions inhérentes au système clérical. Après tout, à part Israël, c’est le seul pays de la région à bénéficier d’un système où le résultat des élections est imprévisible.
En 1997, Khatami a été élu avec l’appui populaire. Mais s’il est de nouveau élu en juin, il sera confronté à une situation économique et sociale très difficile, à cause de la baisse du prix du baril de pétrole qui a passé de 150 à 44 dollars, et d’une forte opposition des conservateurs.
Interview swissinfo, Isabelle Eichenberger
La colonie suisse comptait 183 personnes en 2007.
1979: Reza Shah s’exile et l’ayatollah Khomeiny revient de France. La République islamique est instaurée et, en novembre, des étudiants prennent l’ambassade des USA; ils libéreront les otages après 444 jours.
1980-1988: guerre avec l’Irak, soutenu par l’URSS, les USA, la France et les pays du Golfe (entre 500’000 et 1,2 million de victimes).
1989: feu l’ayatollah Khomeiny est remplacé par Ali Khamenei. Rafsandjani est élu président.
1997-2005: parenthèse réformiste avec Mohammad Khatami à la présidence, qui se heurte aux conservateurs islamistes.
Juin 2005: Elu président, Mahmoud Ahmadinejad renforce le programme nucléaire.
1919: ouverture d’un consulat suisse à Téhéran (devenu ambassade en 1936).
Du fait de sa neutralité, Berne a représenté en Iran les intérêts italiens (1946), australiens, canadiens, britanniques, irlandais et néo-zélandais (1952), sud-africains (1952, 1979-1995) et libanais (1984).
Elle a assumé la représentation des intérêts iraniens auprès des puissances de l’Axe (1941-1946), d’Israël (1958-87), d’Irak (1971-1973) et d’Afrique du Sud (1979-1994).
Depuis 1980, elle assure les intérêts consulaires et diplomatiques des Etats-Unis en Iran et, depuis 1979, ceux de l’Iran en Egypte.
Avec 763,4 millions de francs d’exportation suisses en 2007 et 38,6 millions d’importations, l’Iran est un de ses principaux partenaires au Moyen-Orient.
Né en 1950 à Zurich, il est entré au département fédéral (ministère) des Affaires étrangères en 1982.
1996-1997: chef du Groupe de soutien de l’OSCE en Tchétchénie.
1997-1999: chef de la Mission de l’OSCE en Croatie.
1999-2004: ambassadeur de Suisse en Iran et en Afghanistan. Il a été remplacé par Philippe Welti.
Depuis, il est en congé et a enseigné les sciences politiques à Francfort, Berne, au Collège d’Europe de Bruges (Belgique) et à Varsovie (Pologne). Actuellement, il travaille pour le Centre de dialogue humanitaire à Genève.
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