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Le «puzzle» des légistes à Srebrenica

Sous la direction de Cheryl Katzmarzyk, des milliers de squelettes de victimes sont assemblés au «Re-Association Center». Norbert Rütsche

Le procès Karadzic s'est ouvert à La Haye. L'ancien dirigeant serbe de Bosnie doit répondre de la mort de milliers de personnes. Or toutes les victimes n'ont pas encore été identifiées. C'est la tâche de la Commission internationale pour les personnes disparues. La Suisse y participe.

L’odeur est pénétrante, douce et forte à la fois. C’est une odeur reconnaissable entre toutes: celle de la mort.

Nous sommes dans l’une des morgues de la Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP) de Tuzla, au nord-est de la Bosnie. Quelque trois mille corps reposent ici dans des sacs en plastique, déposés sur des étagères de plusieurs mètres de haut.

Des corps, ou ce qu’il en reste. Les sachets contiennent surtout des os et des fragments d’os. C’est parfois tout ce que l’on a trouvé des victimes du massacre de la petite ville voisine de Srebrenica, où 8000 hommes musulmans de tous âges ont été systématiquement abattus puis entassés dans d’innombrables fosses communes.

Srebrenica est le massacre le plus grave perpétré en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale. Le procès d’un de ses responsables, Radovan Karadzic, ancien dirigeant politique des Serbes de Bosnie, s’est ouvert le 26 octobre à La Haye devant le Tribunal pénal international.

Prétextant d’un manque de temps pour la préparation de sa défense, le prévenu, arrêté en juillet 2008, ne s’est jusqu’ici pas présenté aux audiences. Celles-ci reprendront le 2 novembre.

Traumatisme pas encore surmonté

Quatorze ans ont passé, mais le traumatisme de Srebrenica n’est de loin pas encore surmonté. Des milliers de personnes ne savent toujours pas ce qui est advenu de leurs proches.

Les familles aspirent à porter leur défunt en terre pour pouvoir en faire dignement le deuil. L’espoir placé dans le travail de l’ICMP est donc très grand au sein de la population.

Le mandat de la commission est, précisément, d’identifier tous les ossements retrouvés sur les territoires de la guerre en ex-Yougoslavie. Les légistes se basent sur des analyses ADN en comparant les données fournies par les ossements avec celles des proches parents.

«L’ADN doit correspondre à 99,95%, explique Pakica Colo de l’ICMP. Le mort est alors déclaré comme identifié.»

A la fin de la guerre, on comptait quelque 40’000 personnes disparues, dont 30’000 dans la seule Bosnie-Herzégovine. Depuis le début des analyses ADN en 2001, la commission a prélevé des échantillons sur près de 28’000 personnes sur tout le territoire de l’ancienne Yougoslavie.

Jusqu’ici, ces comparaisons ont permis d’identifier 15’000 victimes. L’immense majorité – 12’600 – est morte en Bosnie-Herzégovine et presque la moitié d’entre elles sont tombées lors du génocide de Srebrenica.

Srebrenica, le cas le plus difficile

Srebrenica est donc le «cas» qui occupe le plus la commission. Le très grand nombre de victimes n’en est pas la seule raison. Le fait que les cadavres aient été déterrés plusieurs fois puis enterrés ailleurs complique singulièrement le travail.

«Quelques mois après le massacre, des photos satellites ont été publiées qui montraient les fosses communes, explique une collaboratrice de l’ICMP, Jasmina Mameledzija. Les auteurs du massacre ont alors cherché à effacer les traces de leurs actes.»

«Ils sont venus de nuit, lorsque la terre est humide, et ont déterré les corps avec de lourdes machines, les ont chargés sur des camions. Beaucoup de corps ont été démembrés dans ces «manœuvres». Il arrive que le corps, le crâne et les os des jambes d’une seule victime se retrouvent dans trois fosses communes différentes.»

Reconstituer les puzzles

Des ossements ont aussi été écrasés au bulldozer. «Nous avons déjà réussi à reconstituer un cadavre à partir d’ossements retrouvés dans quatre fosses», indique Jasmina Mameledzija. «C’est comme un puzzle pour médecins légistes.»

Au «Re-Association Center» de l’ICMP de Lukavac, près de Tuzla, des anthropologues sont occupés à résoudre ces innombrables «puzzles». Les ossements sont disposés sur de grandes tables en métal et les spécialistes tentent, grâce à un travail extrêmement minutieux, de retrouver les liens entre eux.

«Tous les ossements ne permettent pas de prélever de l’ADN», explique Cheryl Katzmarzyk, anthropologue responsable. «Nous classons les os selon l’âge ou l’état des ossements ou selon des particularités biologiques ou morphologiques.»

Il est désormais rare que l’on exhume un cadavre intact d’une victime de Srebrenica. «Nous sommes heureux lorsque nous recevons même un os isolé», note Nura Begovic. Cette femme active au sein de l’association de victimes «Femmes de Srebrenica» de Tuzla a perdu son père, son seul frère, son beau-père et une dizaine d’autres parents dans le massacre.

«C’est si important de pouvoir enterrer nos morts et d’avoir une tombe pour pouvoir se recueillir». Nura Begovic a pu enterrer six des siens. Elle n’a aucune trace des autres disparus.

Norbert Rütsche, Tuzla, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

Créée en 1996 à l’initiative de l’ancien président américain Bill Clinton, la Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP) s’est fixée comme objectif d’identifier, jusqu’à fin 2010, les restes de 20’000 personnes disparues sur les territoires de l’ancienne Yougoslavie.

Des quelque 40’000 personnes annoncées comme disparues à la fin de la guerre, il manque encore environ 14’000, dont 10’000 dans la seule Bosnie-Herzégovine.

Grâce à son expérience, l’ICMP est aussi intervenue pour identifier des victimes après les tsunamis en Asie ou l’ouragan Katrina aux Etats-Unis.

Depuis 2008, l’ICMP dispose aussi d’un bureau de formation en Irak.

Depuis 2000, l’ICMP dispose, pour son travail en ex-Yougoslavie, d’un budget annuel d’environ 8 millions de dollars en moyenne.

Elle est principalement financée par les Etats, surtout européens et américains. Les plus grands bailleurs de fonds sont les Etats-Unis, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne.

La Suisse soutient l’ICMP depuis plusieurs années: jusqu’ici, la Confédération a mis près de 900’000 francs à disposition.

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