Les nouveaux étrangers changent la Suisse
Autrefois, ils étaient ouvriers. Aujourd'hui, ce sont des universitaires. L'immigration a pris un nouveau visage en Suisse. Une étude d'Avenir Suisse en démontre les bienfaits pour le pays. Cette évolution fait néanmoins aussi des perdants, dans la couche moyenne par exemple.
Les étrangers qui viennent s’établir en Suisse sont aujourd’hui majoritairement hautement qualifiés: 58% d’entre eux ont un diplôme de formation supérieure, contre 36% en 1997. Et 60% des entreprises suisses cotées en bourse sont dirigées par des étrangers.
C’est ce qui ressort de l’ouvrage «La nouvelle immigration – La Suisse entre l’accueil des cerveaux et la peur de l’étranger» que vient de publier la Fondation Avenir suisse. La raison principale du changement est à rechercher dans l’accord de libre-circulation des personnes passé avec l’Union européenne. Mais les nouvelles politiques d’asile et des étrangers, plus restrictives, jouent aussi un rôle.
Pour Thomas Held, directeur d’Avenir Suisse, ces nouveaux immigrants apportent énormément à la Suisse. Interrogé par swissinfo, il admet cependant qu’il y a aussi des perdants.
swissinfo: Quelles sont les conséquences de cette nouvelle immigration pour la Suisse?
Thomas Held: Cette nouvelle immigration se caractérise surtout par le fait qu’elle amène en Suisse des gens hautement qualifiés. Actuellement, il y a même davantage d’universitaires parmi les nouveaux arrivants que dans la population suisse.
Cette immigration comble donc une lacune dans l’industrie et l’économie suisses, qui sont axées sur des emplois requérant une formation poussée, sur des services de qualité et sur l’utilisation du savoir. Par exemple, les ingénieurs étrangers viennent combler un manque en ingénieurs dont les entreprises se plaignent depuis des années.
swissinfo: Ces nouveaux venus sont-ils plus faciles à intégrer que les anciens immigrés non qualifiés ou que les requérants d’asile?
T.H.: Il faut redéfinir le concept d’intégration. Premièrement, ces immigrés sont automatiquement intégrés par l’entreprise qui les embauche. Ils jouissent de rapports sociaux au travail. Dans la plupart des multinationales présentes en Suisse, la langue de travail est l’anglais, la «lingua franca». Le dialecte ou une langue nationale sont limités aux usages domestiques.
On ne peut pas exiger de ces personnes qu’elles apprennent le suisse-allemand. Je trouve du reste aussi un peu étrange de demander aux Allemands de se mettre au dialecte.
La question de l’intégration se déplace donc sur le terrain de la participation à la vie publique en Suisse. Et on perçoit un grand intérêt chez les immigrants, notamment allemands. Ils considèrent la Suisse comme une sorte d’Etat idéal auquel ils aimeraient bien participer. Nous ne savons pas trop s’ils s’organisent en communautés d’expatriés, comme les Anglo-Saxons, ou s’il y a une volonté concrète d’agir en Suisse et de participer à la vie publique.
swissinfo: Cette évolution fait-elle aussi des perdants?
T.H.: Oui, il y a des perdants. Cette nouvelle immigration regarde l’élite suisse les yeux dans les yeux. C’est aussi le cas de la classe moyenne. La concurrence est donc plus forte.
Les plans de carrière d’un Suisse dans une université ou un hôpital croisent désormais les plans de carrière de candidats venus d’Allemagne. En outre, cette concurrence émane d’un réservoir plus grand et elle aussi, tendanciellement, plus qualifiée, car le désir de faire carrière à l’étranger présuppose toujours une certaine énergie entrepreneuriale.
Cela crée bien évidemment une certaine insécurité chez les Suisses. Les campagnes, notamment celle du journal de boulevard Blick contre les Allemands, se sont contentées d’effleurer la surface des phénomènes. Mais dans une situation économiquement plus difficile, ils pourraient grossir et causer des tensions.
swissinfo: Les emplois et les salaires de la classe moyenne sont-ils menacés?
T.H.: Rien de tel ne se dessine en ce qui concerne les salaires. Au contraire: il semble même que les écarts entre salaires soient restés stables en Suisse, contrairement à ce qui s’est passé à l’étranger.
swissinfo: Et les prix de l’immobilier, qui ont augmenté avec cette nouvelle vague d’immigration, ne sont-ils pas décourageants pour la classe moyenne?
T.H.: Les fluctuations des prix sur le marché locatif sont très ponctuelles et n’ont, en fait, pas grand chose à voir avec l’immigration. Elles sont plutôt liées aux propriétaires de capitaux internationaux qui cherchent, partout dans le monde, des endroits agréables, comme la rive droite du Lac de Zurich.
swissinfo: Les courants xénophobes ont jusqu’ici été plutôt le fait du bas de l’échelle sociale, en Suisse. Une classe moyenne désécurisée pourrait-elle céder à la tentation xénophobe?
T.H.: On ne peut pas complètement l’exclure. Mais la classe moyenne suisse se caractérise par un très bon niveau de formation générale. Les autres cultures – anglo-saxonnes, allemandes – ne sont pas étrangères. Selon moi, c’est un rempart contre une glissade vers la xénophobie.
Interview swissinfo: Jean-Michel Berthoud
(Traduction et adaptation de l’allemand: Ariane Gigon)
En 2007, près de 40’000 étrangers sont venus s’établir en Suisse pour des raisons professionnelles. La majorité vient d’Europe de l’ouest et du nord, en premier lieu d’Allemagne et d’autres pays voisins de la Suisse. En 2000, ils n’avaient été que 22’000.
Les ressortissants étrangers accomplissent 27% de toutes les heures de travail effectuées en Suisse. Aux positions de cadres et dirigeants, cette proportion est encore plus élevée: dans les grandes sociétés, 60% des dirigeants sont d’origine étrangère.
Les domaines de prédilection de ces nouveaux arrivants sont l’informatique, la recherche et le développement.
Grâce à la libre circulation des personnes avec l’Union européenne, le nombre d’immigrants de formation supérieure ne cesse de croître. Ils comblent souvent un manque.
Par exemple, seuls 17% des étudiants en Suisse ont choisi une formation scientifique, mais les scientifiques représentent 60% des migrants.
Malgré une immigration forte, la répartition des revenus, des salaires et de la fortune est restée pratiquement constante en Suisse.
«La nouvelle immigration – La Suisse entre l’accueil des cerveaux et la peur de l’étranger», Avenir Suisse, sous la direction de Daniel Müller-Jentsch. Zurich, Edition Neue Zürcher Zeitung, 48 francs.
La Fondation Avenir Suisse est un groupe de travail créé en 1999 par les plus grandes entreprises suisses sur le modèle des «think tanks» anglo-saxons.
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