Mais qui est donc vraiment Ben Laden?
Dans «L'énigme Oussama Ben Laden», le journaliste Ian Hamel, collaborateur occasionnel de swissinfo, publie un étonnant portrait du créateur d'Al-Qaida. Un portrait qui bat en brèche quelques clichés. Interview.
Observateur attentif du terrorisme et des services secrets (il collabore au site «intelligence online»), le journaliste Ian Hamel, entre mai 2007 et juillet 2008, a suivi les traces d’Oussama Ben Laden.
Derrière la figure historique, Ennemi public N°1 pour les uns ou sauveur de l’Islam pour d’autres, symbole du chef de guerre voire de l’idéologue charismatique pour presque tout le monde, c’est un homme de «peu de consistance» qu’a décelé Ian Hamel…
swissinfo: Ian Hamel, comment avez-vous procédé pour reconstituer le puzzle de la trajectoire d’Oussama Ben Laden?
I.H.: Soulignons d’abord que c’est la biographie d’un homme, et non un livre sur le terrorisme.
J’ai donc procédé assez simplement, c’est-à-dire en partant de son père, de l’endroit où il est né, de ce que l’on retrouve, ce que déclarent les témoins. J’ai pratiqué de la même façon dans tous les pays où a vécu Oussama Ben Laden – à l’exclusion de l’Arabie Saoudite, de laquelle je n’ai pas reçu de visa. C’est-à-dire au Pakistan, au Soudan, et en Afghanistan, où j’étais déjà allé précédemment.
Je me suis également rendu au Tadjikistan, car il n’était pas très connu que Oussama Ben Laden y a favorisé la révolution islamiste après la chute du Mur de Berlin. Et également au Liban, dans la mesure où Al-Qaida, l’organisation créée par Ben Laden, s’est fortement inspiré du Hezbollah libanais.
swissinfo: Dans ce type d’enquête sur le terrain, il y a plus de chances de récolter des mensonges que des vérités…
I.H.: Oui, les gens n’ont pas forcément envie – ni nécessairement une bonne raison – de dire la vérité. En revanche, ce qu’on constate concernant Oussama Ben Laden, c’est qu’il était un homme de communication, plus qu’un homme d’action d’ailleurs. Beaucoup de journalistes, notamment pakistanais, l’ont rencontré. Même chose au Soudan.
Avant 1998 et les attentats contre les ambassades américaines en Afrique, c’est vraiment quelqu’un qui parle beaucoup. Et qui revendique des attentats… sans qu’on ait la preuve, dans les faits, qu’il a commis quoi que ce soit. C’est à partir de 1998 qu’on réalise que le personnage est véritablement dangereux.
swissinfo: Quelqu’un qui communique plus qu’il n’agit… Mais à aucun moment vous ne remettez en cause sa responsabilité dans les attentats du 11 septembre, malgré les théories diverses qui courent à ce propos.
I.H.: Non. Il en est le responsable, aucun doute là-dessus.
swissinfo: Vous tracez le portrait d’un homme qui fut davantage la marionnette de certains idéologues qu’un vrai chef de guerre.
I.H.: Tous ceux qui ont rencontré Oussama Ben Laden dressent presque le même portrait: il est effacé, timide, assez peu brillant. Et on découvre effectivement qu’il a des maîtres à penser. Il ne part pas en Afghanistan de lui-même, malgré ce qu’il prétend, mais parce que le prince saoudien Turki l’incite à partir. Ensuite, l’âme du combat contre les Russes, ce n’est pas Ben Laden, mais un Palestinien. Et depuis 1998, il y a Zawahiri: sans lui, il n’y aurait pas eu les attentats.
swissinfo: Vous rappelez également le désaveu manifesté récemment par certains ténors islamistes, notamment le cheikh Salman Al-Awdah et sa lettre ouverte à «Frère Oussama» en septembre 2007.
I.H.: Il y a actuellement deux sortes de reproches, dans la mouvance islamiste, vis-à-vis de l’action d’Al-Qaida. Ceux qui critiquent la stratégie et proposent d’autres formes de terrorisme. Et ceux qui se demandent à quoi ont servi les attentats de 2001, qui se disent même: on avait un territoire où l’on était tranquille, l’Afghanistan, on l’a perdu. On avait un autre territoire, en Europe, où on nous fichait la paix, Londres. On l’a perdu aussi. A quoi cela a-t-il donc servi de tuer 3000 Américains en 2001?
swissinfo: Les USA affirment ne pas parvenir à mettre la main sur Ben Laden. Vous n’y croyez pas et affirmez – comme d’autres – qu’on l’a même laissé glisser entre les mailles du filet.
I.H.: Comment quelqu’un qui est l’ennemi public N°1 n’a-t-il pas pu être retrouvé depuis 2001? Il faut savoir qu’en 2001, il n’était pas seul: il avait alors deux ou trois femmes et une vingtaine d’enfants! Comment expliquer que lorsque les Américains attaquent l’Afghanistan, entraînant une fuite éperdue des Taliban et d’Al-Qaida, on ne parvient pas à arrêter un seul de ses enfants? C’est complètement absurde.
swissinfo: Votre explication?
I.H.: Si on l’attrape et qu’on le tue, la crainte est qu’il devienne un martyr. Si on l’attrape vivant et qu’il est jugé, c’est une personne qui peut dire beaucoup de choses, notamment sur ses liens avec la famille royale saoudienne, sur les services secrets saoudiens, et très vraisemblablement, sur le pouvoir pakistanais.
swissinfo: Yeslam Ben Laden, demi-frère d’Oussama, établi à Genève et naturalisé suisse, a-t-il réagi à votre livre?
I.H.: Non, pas encore. Mais je serais très intéressé à sa réaction. D’autant plus que, de la part de la famille Ben Laden, il n’y a eu aucune, mais vraiment aucune, collaboration! Pas la moindre information, y compris de la part de Yeslam Ben Laden.
swissinfo: En quoi votre regard sur Ben Laden a-t-il changé au cours de votre enquête?
I.H.: Ce qui m’a frappé, c’est le peu de consistance du personnage. A tel point qu’en 2001, les Américains ne pouvaient pas reconnaître qu’ils s’étaient fait avoir par un homme qui avait aussi peu d’envergure. Aussitôt, les services secrets, l’armée, ont été contraints de se trouver un ennemi beaucoup plus important…
Interview swissinfo, Bernard Léchot
Ian Hamel a travaillé 6 ans en Amérique du Sud, puis 5 ans en Afrique, notamment pour «Le Monde», «Libération», l’Agence France Presse et associated Press.
Il collabore en France à l’hebdomadaire «Le Point», en Suisse au «Matin Dimanche» et à swissinfo.
Spécialiste du terrorisme et des services secrets, il collabore également au site «intelligence online».
Il est l’auteur en 2007 de «La vérité sur Tariq Ramadan» (Editions Favre)
«L’énigme Oussama Ben Laden» (336 pages) est publié aux éditions Payot & Rivages.
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