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Pour un monde meilleur… et pour séduire l’électorat

Personne ne doit gagner moins en un an que ce que gagne un manager dans la même entreprise en un mois: tel est le credo des jeunesses socialistes, qui ont déposé leur initiative en mars 2011. Keystone

Les partis de gauche, les organisations de la société civile et les petits patrons en colère ont lancé pas moins de six initiatives visant à réduire les inégalités sociales et salariales. Doit-on y voir une tendance de fond ou simplement un hasard de l’agenda politique?

Vendredi 15 février, une coalition de syndicats et de partis de centre-gauche entameront la récolte des 100’000 signatures nécessaires à l’aboutissement d’une initiative exigeant l’introduction d’un impôt fédéral sur les successions pour les héritages dépassant deux millions de francs.

Deux semaines plus tard, le 3 mars, les électeurs se prononceront sur l’initiative hautement controversée de l’entrepreneur schaffhousois Thomas Minder, qui s’attaque aux rémunérations «abusives» des dirigeants des grandes entreprises cotées en bourse. Les Suisses devront également se prononcer, probablement d’ici la fin de l’année, sur une initiative des Jeunes socialistes visant à introduire une fourchette maximale de 1 à 12 dans la grille salariale de toutes les entreprises suisses.

Deux autres initiatives de gauche ont également abouti: la première exige la suppression des forfaits fiscaux pour les riches étrangers domiciliés en Suisse, la seconde l’instauration d’un salaire minimum dans tout le pays. Les dates des différents scrutins seront fixées une fois que les propositions auront été discutées au gouvernement et au parlement.

propositions de modification constitutionnelle ont obtenu les 100’000 signatures nécessaires pour être soumises au peuple.

C’est plus que le double de la moyenne des deux dernières décennies. 2012 a toutefois marqué l’échec d’un nombre record d’initiatives. Dix d’entre elles n’ont pas obtenu les signatures nécessaires dans les 18 mois impartis.

Des campagnes de récolte de signatures sont en cours pour au moins 16 autres initiatives.

Au total, 412 initiatives populaires ont été lancées dans l’histoire suisse. 182 ont été soumises au vote. Seules 19 d’entre elles ont toutefois obtenu la double majorité du peuple et des cantons dans les urnes.

Tensions sociales

Professeur de sociologie à l’université de Bâle, Ueli Mäder est convaincu que cette avalanche d’initiatives autour d’une même thématique n’est pas une simple coïncidence. «Cela démontre à quel point les inégalités se sont aggravées, notamment en ce qui concerne la fortune et le revenu disponible». Bien qu’en Suisse, le taux de chômage reste extrêmement faible en comparaison européenne – un peu plus de 3% actuellement – Ueli Mäder souligne que la crise économique y affecte de nombreuses personnes également.

Le chômage figure d’ailleurs en tête des préoccupations des Suisses, d’après une enquête publiée au mois de décembre par Credit Suisse, la deuxième banque du pays. La frustration grandit au fur et à mesure que les espoirs de changement sont déçus, poursuit Ueli Mäder. Les petits salariés s’offusquent par exemple depuis de nombreuses années des rémunérations extravagantes de certains patrons. Le sociologue se dit préoccupé par ces tensions sociales potentiellement nuisibles. «Cela peut encourager des attitudes égoïstes. La colère rend également les gens plus enclins à embrasser des idées populistes. J’y vois là un réel danger. Quant aux personnes aisées, elles craignent pour la paix et la cohésion sociales».

Lorsqu’un petit cercle de personnes privilégiées s’octroie des positions importantes et de hauts salaires sans grands efforts, le risque est réel de décourager toute une partie de la jeune génération. «Une société est juste et équitable lorsque le plus grand nombre de personnes vit dans de bonnes conditions», affirme Ueli Mäder.

C’est incontestablement l’une des initiatives les plus insolites de ces dernières années: un groupe d’initiants, sans soutien de grands partis politiques ou d’organisations de la société civile, récolte actuellement des signatures pour l’introduction d’un revenu inconditionnel de 2500 francs destiné à toutes les personnes vivant en Suisse.

Considéré par beaucoup comme une douce utopie, le texte ne devrait pas obtenir un soutien majoritaire dans les urnes. Ses partisans affirment toutefois avoir déjà récolté près de 70’000 signatures, alors qu’il leur reste encore 9 mois pour récolter des paraphes.  

Réaction logique

Pour le politologue Georg Lutz, de l’université de Lausanne, ces initiatives ne sont cependant pas uniquement une réaction logique aux années de néo-libéralisme et d’accroissement des inégalités. Il y décèle également des mécanismes politiques bien connus.

«Ces initiatives sont certes lancées pour tenter de réduire l’écart entre riches et pauvres. Mais la gauche veut également récolter les fruits de la colère populaire». Puisqu’elle a été lancée hors des cercles politiques de gauche, l’initiative Minder, qui vise à réduire les rémunérations des top-managers en accordant plus de droit aux actionnaires, a de bonnes chances d’être acceptée par le peuple suisse, estime Georg Lutz. 

Un premier sondage du diffuseur national SRG SSR, publié le 25 janvier, donnait l’initiative largement en tête, avec 65% de sondés prêts à glisser un «oui» dans l’urne. Un retournement de situation n’est cependant pas exclu, comme l’ont démontré d’autres votations populaires par le passé.

Même si elle était finalement rejetée par l’électorat et/ou la majorité des cantons, l’initiative aura au moins eu le mérite «de lancer un vaste débat et d’attirer l’attention sur les activités d’un groupe politique, affirme Georg Lutz. Cela fait aussi partie des motivations des initiants».

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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