L’impôt des frontaliers italiens continue de diviser
Après des années de litige, la Suisse et l’Italie sont parvenues à un accord de principe en matière de coopération fiscale. Cependant, le thème de l’imposition des frontaliers italiens travaillant en Suisse reste sujet à polémique. La répartition des recettes fiscales ne convient ni au Tessin ni aux communes italiennes de la zone frontière.
Après plusieurs tentatives, la Suisse et l’Italie ont finalement trouvé une solution de principe pour améliorer leurs relations fiscales et mettre fin à des années de tension. Il est prévu de signer d’ici la fin février un protocole de modification de l’Accord de double imposition et une «feuille de route» destinée à aplanir les autres contentieux en suspens, parmi lesquels l’imposition des frontaliers.
Cet accord fiscal devrait permettre à l’Italie d’encaisser des impôts sur l’argent que certains de ses citoyens avaient jusqu’à présent déposé en Suisse. Quant à la Suisse, elle espère pouvoir être ainsi rayée de la liste noire des pays qui ne coopèrent pas en matière fiscale.
Le but de l’opération est notamment de régulariser les avoirs que des Italiens ont dans les banques suisses, sans que cela ne conduise à une fuite massive de ces capitaux vers des Etats tiers au moment de l’introduction d’un échange automatique des données entre Berne et Rome. Un accord entre les deux pays éviterait par ailleurs des poursuites judiciaires en Italie contre les banques suisses et leurs collaborateurs.
Dispute autour des frontaliers
Une partie de l’accord concerne aussi le litige fiscal entourant les frontaliers italiens travaillant en Suisse. Le canton du Tessin, tout particulièrement, réclame depuis plusieurs années qu’une plus grande part des impôts payés par les frontaliers reste en Suisse.
Pour l’heure, en vertu d’un accord remontant à 1974, les frontaliers italiens sont pleinement imposés dans les cantons suisses où ils se rendent pour travailler, c’est-à-dire le Tessin, les Grisons et le Valais. Une part de 38,8% de l’impôt à la source qu’ils payent en Suisse est ensuite rétrocédée à l’Italie. Sur la base d’une clef de répartition italienne, la majeure partie de cette somme rétrocédé revient aux communes dans lesquelles résident ces frontaliers.
Au Tessin, on estime depuis des années que cette réglementation est désuète et que l’on reverse trop d’argent à l’Italie. En 2013, le canton du Tessin a par exemple rétrocédé une soixantaine de millions de francs. De plus, ce régime fiscal favoriserait l’afflux de frontaliers dans le sud du canton.
Rapports étroits
L’Italie est le 3e partenaire commercial de la Suisse, après l’Allemagne et les Etats-Unis. En 2013, 10,1% des importations suisses provenaient d’Italie et 7,1% des exportations suisses avaient la Botte pour destination.
Avec une part de 5,2%, la Suisse représentait en 2013 le 4e marché d’exportation pour l’économie italienne, après l’Allemagne, la France et les Etats-Unis. La Suisse n’arrivait en revanche qu’au 9e rang des fournisseurs de biens et de services (2,9%).
Nouvelle répartition
Selon l’accord trouvé entre Berne et Rome, les frontaliers devraient à l’avenir être imposés séparément dans l’Etat où ils travaillent et dans l’Etat de résidence. Il n’y aurait donc plus aucune rétrocession d’impôts. La part revenant à l’Etat où le frontalier travaille correspondrait, au maximum, à 70% de l’impôt à la source. Cette règle s’appliquerait également aux frontaliers suisses travaillant en Italie.
Selon ce qui a été communiqué par le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales, la charge fiscale des frontaliers devrait dans un premier temps rester stable. Les deux Etats se sont engagés à négocier rapidement, afin de parvenir à un accord d’ici l’été prochain.
Sur la base de premières estimations, cette solution devrait générer entre 10 et 15 millions de francs de recettes fiscales supplémentaires pour le canton du Tessin. Mais dans le canton, il règne surtout un sentiment de déception, car on s’attendait à des recettes plus élevées.
Protestations
«Une fois de plus, il ne reste que des miettes à notre canton», s’est lamenté le conseiller national Lorenzo Quadri dans les colonnes du «Matino», le journal dominical de la Ligue des Tessinois.
Dans un communiqué, les Verts ont pour leur part critiqué la fin des rétrocessions, soulignant que «nous perdons ainsi notre unique moyen de pression par rapport à l’Italie». Ces rétrocessions avaient été partiellement bloquées en 2011 par les autorités tessinoises suite à des mesures adoptées par le gouvernement italien dans le cadre du conflit fiscal avec la Suisse.
Le Parti socialiste et les partis de centre-droit du canton ont aussi exprimé leur mécontentement par rapport à la solution annoncée par la Berne fédérale. A leurs yeux, la répartition devrait permettre à l’Etat dans lequel les frontaliers travaillent d’encaisser au moins 80% de l’impôt à la source normal.
Mais ce n’est pas l’enthousiasme non plus de l’autre côté de la frontière. Bon nombre de communes italiennes craignent qu’avec ce nouveau système, une bonne partie des recettes fiscales provenant des frontaliers finisse quelque part à Rome. Par ailleurs, il faut s’attendre à une augmentation de la charge fiscale pour les frontaliers, étant donné qu’en Italie, l’imposition du revenu est beaucoup plus forte qu’en Suisse.
Règles différentes ailleurs
Ce nouveau système fiscal pour les frontaliers représenterait en tout cas une nouveauté. L’imposition des frontaliers français, allemands et autrichiens actifs en Suisse est en effet réglée sur d’autres bases. Par exemple, la Suisse ne perçoit qu’un impôt équivalant à 4,5% du revenu brut des frontaliers allemands. Ces derniers sont ensuite taxés de manière tout à fait normale en Allemagne, après déduction de l’impôt déjà payé en Suisse.
La Suisse ne perçoit en revanche généralement aucun impôt sur les frontaliers français. C’est le fisc français qui impose ses ressortissants, mais il reverse ensuite 4,5% du revenu brut à la Suisse.
Les règles sont encore différentes avec l’Autriche. Les frontaliers autrichiens payent normalement leurs impôts en Suisse. Cet impôt est ensuite déduit des impôts autrichiens, généralement plus lourds. De plus, 12,5% de l’impôt prélevé en Suisse est reversé aux autorités autrichiennes.
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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