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Eveline Widmer-Schlumpf en femme d’Etat

Keystone

Au-dessus des pressions de son parti, Eveline Widmer-Schlumpf a présenté vendredi matin son bilan après trois mois de gouvernement. Et l'après-midi, elle est venue saluer les milliers de manifestants qui protestaient sous la pluie contre son exclusion de l'UDC.

L’ultimatum expire ce 11 avril. Ulcérée par la non-réélection de Christoph Blocher et son remplacement au Conseil fédéral par Eveline Widmer-Schlumpf grâce aux voix de la gauche et du centre, l’UDC (droite nationaliste), ne veut plus de la nouvelle ministre de Justice et Police dans ses rangs.

Et comme le parti national ne peut pas «virer» un membre d’une section cantonale, c’est toute l’UDC des Grisons qui se retrouve menacée d’exclusion… à moins qu’Eveline Widmer-Schlumpf ne démissionne.

Mais de cela, il n’est pas question. A l’heure du bilan des 100 jours, la nouvelle ministre se montre au contraire bien décidée à poursuivre sa tâche, «avec engagement et avec joie». Des pressions de son parti, elle ne fait même pas mention, si ce n’est pour remercier toutes celles et tous ceux qui l’ont soutenue, dans une «impressionnante vague de solidarité».

Fermeté

«La sécurité et le droit pour une Suisse forte». Le titre de l’exposé d’Eveline Widmer-Schlumpf résume bien les priorités et les objectifs qui seront les siens au cours des quatre ans de la législature.

Rien de bien nouveau au chapitre de la sécurité. «Lorsqu’on reprend un ministère, beaucoup de projets sont déjà en cours», admet la nouvelle conseillère fédérale, qui ne prononcera toutefois jamais le nom de son prédécesseur.

C’est pourtant bien sous le «règne» de Christoph Blocher qu’a été initié le «Rapport sur la violence des jeunes», que le ministère rend public également ce 11 avril. Selon Eveline Widmer-Schlumpf, c’est en premier chef à la police de s’attaquer au problème. Pas besoin de lois plus dures, elles le sont déjà assez. Il suffit de «les appliquer avec fermeté».

Quant au volet prévention, il viendra plus tard, sur la base d’un rapport en cours d’élaboration dans un autre ministère, celui de l’Intérieur.

Etrangers, asile et droit de mourir

S’agissant de répression, le ton reste ferme. «Nous donnons un signal clair: les infractions ont des conséquences sur le séjour d’un étranger», déclare Eveline Widmer-Schlumpf à propos des expulsions de criminels.

Pas question pour autant de retirer le passeport suisse à un jeune délinquant naturalisé, comme le voudrait l’UDC. Par contre, il faudra agir en amont, en menant des investigations plus poussées avant d’accorder la nationalité. Et pour s’intégrer, un étranger devra apprendre la langue et travailler. S’il refuse, il faut appliquer «des sanctions claires, allant jusqu’à l’expulsion».

Dans le domaine de l’asile, Eveline Widmer-Schlumpf confirme ce que Christoph Blocher avait laissé entendre: une nouvelle révision de la loi se profile. Une révision qui forcerait notamment les requérants déboutés à apporter la preuve (et non plus seulement à rendre vraisemblable) que leur renvoi n’est pas exigible.

La ministre souhaite en outre empoigner le dossier de l’assistance au décès, qui a tellement fait couler d’encre ces derniers mois. Faudra-t-il légiférer ? Elle ne se prononce pas pour l’instant, mais juge qu’«un débat approfondi est nécessaire».

Clairement à droite

Au-delà des questions de sécurité, Eveline Widmer-Schlumpf se dit également très préoccupée par le renforcement de la place économique suisse, le fédéralisme et la cohésion sociale.

«Seule une économie saine est à même de garantir le bien-être de tous», juge la ministre, qui rappelle qu’en Suisse, un actif sur quatre est de nationalité étrangère. Contrairement à son prédécesseur, Eveline Widmer-Schlumpf se prononce donc sans ambiguïté pour la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne et son extension à la Bulgarie et à la Roumanie.

Autres priorités: la protection de la marque «Suisse», la bonne gestion des entreprises (et la lutte contre les salaires excessifs des managers), des finances publiques saines, avec un Etat «mince, efficace et proche des citoyens» qui ne doit «pas dépenser plus qu’il ne gagne».

Un discours finalement très marqué à droite. Plus que celui de Christoph Blocher, comme l’ont suggéré certains commentateurs ? «Cela dépend des dossiers», répond l’intéressée, qui se définit comme «bourgeoise et très attachée aux idées libérales», mais avec une «sensibilité sociale».

12’000 personnes se mouillent pour elle

Le matin, Eveline Widmer-Schlumpf ne savait pas encore si elle assisterait à la manifestation de soutien organisée pour elle par Alliance F, qui regroupe des sociétés féminines suisses.

Elle a fini par se décider. Vers 15 heures, elle est montée à la tribune érigée devant le Palais fédéral, au milieu d’une foule estimée à 12’000 personnes, en majorité des femmes, mais aussi beaucoup d’hommes, d’un certain âge. Des gens qui ne semblaient pas être des habitués des «manifs», mais qui avaient néanmoins choisi de braver la pluie tombant sur la capitale.

Sous les bravos nourris d’une assistance scandant son nom, la ministre, visiblement émue, s’est adressée aux manifestants dans les quatre langues nationales, comme elle l’avait fait le matin avec les journalistes.

«Merci beaucoup d’être venus, vous me faites du bien dans ces jours difficiles. Vous êtes venus pour moi, mais pas seulement, car nos institutions démocratiques sont remises en question», a-t-elle notamment dit, avant de lancer un appel au respect et à la tolérance.

Plus d’une dizaine d’autres orateurs, en majorité des femmes, sont également passés à la tribune et Rosmarie Zapfl, présidente d’Alliance F, s’est dite impressionnée par le nombre de participants. La police avait d’ailleurs renforcé son dispositif au vu de l’affluence, mais elle n’a signalé aucun incident.

Pas de quoi impressionner l’UDC pour autant. Selon son porte-parole Alain Hauert, cette manifestation «ne changera rien à la procédure en cours».

swissinfo, Marc-André Miserez

En Suisse, les partis politiques sont organisés en sections cantonales, dont la ligne peut différer de l’une à l’autre. Ancien parti agrarien, l’UDC est restée une formation de la droite traditionnelle dans des cantons comme les Grisons, Berne ou Vaud. Ailleurs, le parti suit désormais la ligne incarnée par Christoph Blocher et la section zurichoise: nationaliste et populiste.

Cette ligne prévaut également au niveau national, où on reproche à Eveline Widmer-Schlumpf d’avoir «trahi» en pactisant avec la gauche et le centre du Parlement, qui l’ont élue au gouvernement le 12 décembre 2007, contre Christoph Blocher.

Dès lors, l’UDC nationale a fixé à Eveline Widmer-Schlumpf un ultimatum au 11 avril pour qu’elle quitte le parti. Comme elle ne veut pas le faire, la balle est dans le camp de la section des Grisons. Le 10 avril, son comité directeur a clairement fait savoir qu’il ne comptait pas l’exclure. Le 23 avril, une assemblée extraordinaire doit en discuter, mais aucun vote n’est prévu.

Si l’UDC grisonne persiste à garder son élue, l’UDC suisse se prononcera début mai sur le bannissement de toute la section cantonale.

Cette perspective ne fait pas l’unanimité dans les rangs du parti. Ainsi la section de Thurgovie dit «respecter» l’élection d’Eveline Widmer-Schlumpf et demande un rapide retour à de la politique «constructive». La ministre peut aussi compter sur le soutien des femmes UDC bernoises. Et les sections vaudoise et fribourgeoise prendront position sur la question ces prochaines semaines.

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