Les multinationales face aux droits humains
Réunie à Genève, la Commission des droits de l’homme de l’ONU doit se prononcer sur des normes visant à contraindre les multinationales à respecter les droits humains.
La Déclaration de Berne appelle les Etats membres de la Commission à soutenir ce texte.
«Les multinationales ont un don d’ubiquité. Elles sont partout et donc, quand il y a atteinte aux droits humains ou à l’environnement dans les pays du Sud, la maison-mère basée au Nord échappe souvent aux responsabilités qui retombent sur les filiales, les sous-traitants ou les fournisseurs.»
Le constat émane de Florence Gerber, de la Déclaration de Berne. Cette organisation non gouvernementale (ONG) se bat pour que la Commission des droits de l’homme de l’ONU n’évacue pas le sujet d’un revers de main, notamment les Etats industriels, eux-mêmes subissant la pression de leurs entreprises.
Imposer des règles aux entreprises
L’ONU sera-t-elle un jour à même de contraindre, et donc de punir, les entreprises coupables de violation des droits humains ou environnementaux?
On est encore loin de là, mais, ces prochains jours à Genève, la Commission des droits de l’homme doit se pencher sur des «Normes sur la responsabilité en matière de droits humains des sociétés transnationales et autres entreprises».
Elaborées en août 2003 par la Sous-Commission des droits de l’homme de l’ONU, ces normes sont un premier pas vers l’établissement d’un cadre légal international contraignant pour les multinationales.
Pour l’instant, ces normes reprennent les traités, conventions et autres instruments internationaux existants. Mais «leur objectif ultime est de remonter la pyramide onusienne pour aboutir, qui sait, à un traité ou une convention internationale», affirme Florence Gerber.
«Le Pacte mondial ouvre un espace de dialogue avec les principaux partenaires pour amener le secteur privé à collaborer avec l’ONU», précise Gérald Pachoud, chargé du dossier au Département des Affaires étrangères. Lequel précise par ailleurs que la Suisse soutient activement le Pacte.
Voilà qui va donc beaucoup plus loin que les initiatives en vigueur actuellement, que ce soit le Pacte mondial de l’ONU (lancé en 1999 au Forum de Davos), les «Lignes directrices de l’OCDE» ou les codes de conduite volontaires adoptés par certaines entreprises.
Obstacle juridique
Mais Berne n’a pas de position officielle sur la rédaction des Normes, indique de son côté Jean-Daniel Vigny, de la délégation suisse à la Commission des droits de l’homme: «Comme beaucoup d’Etats, elle estime que c’est trop tôt. Mais elle souhaite développer une large réflexion sur la question.»
La difficulté, pour les Etats comme pour l’ONU, est d’ordre politique et juridique. En effet, «en matière de droits de l’homme, c’est la responsabilité des Etats qui entre en ligne de compte, et non pas celle des acteurs non étatiques que sont les entreprises», explique Jean-Daniel Vigny.
Autrement dit, la Suisse n’est pas prête à faire le saut. D’autant plus qu’elle n’est qu’observatrice à la Commission des droits de l’homme (elle en sera membre en 2007). Mais elle suit le dossier de près. Et, étant le siège de nombreuses multinationales, elle a une carte importante à jouer.
Les multinationales mitigées
Parmi les géants suisses, Novartis et ABB, par exemple, font partie des bons élèves. Toutes deux sont membres du Global Leader Initiative créé par Mary Robinson, ex-haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU.
Ce groupe de 7 multinationales s’est engagé en 2003 à respecter les règles existantes pour élaborer leur propre code de conduite.
Nestlé, elle, n’est pas aussi progressiste, selon Florence Gerber, mais fait partie du Pacte mondial.
Ce que confirme Marcel Rubin, porte-parole de la multinationale: «Nous soutenons et respectons la protection des droits humains au sein de notre sphère d’influence et nous nous assurons que nos propres sociétés ne se rendent pas complices d’abus.»
Mais «les multinationales se cachent souvent derrière une bonne volonté de façade pour soigner leur image de marque, voire échapper à des dénonciations», relativise Florence Gerber.
Du reste, selon Michel Egger, spécialiste de la Communauté de travail des œuvres d’entraide, «seules 10 à 15% des 1200 entreprises ayant adhéré au Pacte mondial de l’ONU prennent au sérieux leurs engagements»
Le débat sera intense
Le débat promet d’être intense cette semaine à la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Certaines multinationales exercent de fortes pressions sur les délégations de certains gouvernements pour que les Normes soient enterrées.
«Nous demandons à la Commission de ne rien faire qui puisse affaiblir ces Normes, et de les faire circuler plus largement en vue d’une décision lors de la prochaine session, en 2005, comme le recommande du reste la Sous-Commission.», plaide Florence Gerber.
Pour la Déclaration de Berne, il ne s’agit pas que le texte soit adopté par la Commission («c’est trop tôt»), mais qu’elle le retravaille et le diffuse plus largement pour que toutes les parties puissent s’exprimer.
Même point de vue au sein de la délégation suisse: «La Suisse souhaite engager un processus de réflexion à vaste échelle. Elle va donc faire tout son possible pour que les Normes ne disparaissent pas de l’agenda de l’ONU», affirme Jean-Daniel Vigny.
Mais les pays sont très partagés. Ce qui est sûr, pour Florence Gerber, c’est qu’«un abîme sépare souvent le discours des actes». Autrement dit, que la route est encore longue et qu’«on n’est pas sorti de l’auberge», pour reprendre les mots de Jean-Daniel Vigny.
swissinfo, Isabelle Eichenberger
Le Pacte mondial de l’ONU, lancé en 1999 au Forum de Davos, compte 1200 entreprises signataires.
La Global Leader Initiative a été créée en 2003 par Mary Robinson, ex-haut commissaire aux droits de l’homme de l’ONU. Il regroupe 7 multinationales.
L’OCDE a rédigé des «Lignes directrices».
Nombre d’entreprise adoptent des codes de conduite volontaire.
– En août 2003, la Sous-Commission des droits de l’homme de l’ONU a élaboré des «Normes sur la responsabilité en matière de droits humains des sociétés transnationales et autres entreprises».
– Ces normes reprennent les traités, conventions et autres instruments internationaux existants dans le but ultime d’élaborer un jour un traité ou une convention internationale contraignante.
– La Déclaration de Berne demande que les membres de la Commission des droits de l’homme fassent mieux connaître ces normes en vue d’une décision lors de la session de 2005.
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