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FuturICT, la sociologie comme science exacte

FuturICT vise à modéliser les comportements collectifs. Comme ceux d’une foule en circulation par exemple. Keystone

C’est le troisième grand projet ancré en Suisse à être en lice pour un soutien européen d’un milliard d’euros. Au poly de Zurich, on travaille au mariage futuriste de la sociologie et des technologies de l’information. Avec l’idée de prévenir les crises qui secouent régulièrement le monde.

Des six dossiers désignés début mai à Budapest par la Commission européenne comme candidats au titre de flagship (ci-contre), FuturICT est le seul à relever du champ des sciences humaines. Construit sur un jeu de mot, son nom «futuriste» intègre le sigle «ICT», qui désigne en anglais les technologies de l’information et de la communication, soit tout le domaine des ordinateurs personnels, des téléphones portables, de l’Internet et des réseaux sociaux.

L’idée de base, c’est que ces technologies, et les montagnes de données qu’elles permettent d’accumuler et de traiter, offrent désormais au sociologue de quoi faire de sa discipline plus qu’un simple discours («logos»), mais une véritable science, capable de décrire son objet d’études avec une précision inégalée, voire de prévoir son évolution.

Dans les descriptions du projet qui accompagnent leur dossier, les auteurs se font volontiers lyriques. FuturICT, sous-titré «knowledge accelerator» (accélérateur de connaissance), est comparé au programme Apollo. A cette différence que cette fois, ce n’est plus la Lune qu’il s’agit d’explorer, mais bien la Terre.

C’est le plus grand programme de soutien à la recherche jamais lancé par l’Union européenne. Début mai 2011 à Budapest ont été dévoilés le noms des six projets finalistes (ils étaient 21 au départ) dans le concours qui aboutira l’année prochaine à la désignation de deux ou trois «flagships» (vaisseaux amiraux).

Un milliard d’euros est promis à chacun, à raison de 100 millions par année sur dix ans. Ces sommes seront fournies en partie par la Commission européenne et en partie par les Etats qui abritent les différentes Hautes Ecoles et institutions impliquées dans chaque projet.

Deux et demi en Suisse. Parmi ces six finalistes, deux sont dirigés depuis l’EPF de Lausanne: the Human Brain Project et Guardian Angels (qui implique également une forte collaboration de celle de Zurich). FuturICT, quant à lui, est dirigé conjointement par le University College of London et l’EPFZ.

Une science nouvelle

Comme les autres candidats flagships, FuturICT repose sur un vaste réseau: 51 Hautes Ecoles et instituts académiques de 16 pays, auxquels s’ajoutent des partenaires industriels comme le moteur de recherche Yahoo ! et l’opérateur Telecom Italia. Le tout sous la houlette de deux «maisons-mères», le University College of London (UCL) et l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

Lors de la cérémonie de proclamation des six finalistes à Budapest, le mathématicien et co-directeur du projet Steven Bishop, de l’UCL, ne cachait pas son enthousiasme. Il nous disait alors ce «fantastique sentiment d’excitation de voir le noyau d’une nouvelle science en train de se développer».

Fin juin à l’EPFZ, Dirk Helbing, physicien reconverti en sociologue et autre co-directeur de FuturICT, nous parlait quant à lui d’une «renaissance des sciences sociales», et même d’un «point de départ pour une nouvelle révolution scientifique».

Concrètement, les chercheurs vont récolter le plus de données possible, provenant principalement d’Internet, mais aussi d’archives ou d’enquêtes sur des comportements collectifs. Des observatoires seront également installés dans les secteurs financier, économique, social ou environnemental. Et toutes ces données viendront nourrir un «Living Earth Simulator» (simulateur de la Terre vivante), capable, dans l’idéal, de modéliser le fonctionnement des sociétés comme on le fait déjà pour des systèmes complexes en physique ou en biologie.

Tout ceci bien sûr dans le respect le plus strict des principes de la protection des données. Les pères de FuturICT sont des scientifiques et leur but n’est pas de fouiner dans la vie des gens, mais d’obtenir des résultats qui puissent «bénéficier à la société toute entière».

Isaac Asimov (1920-1992), écrivain américain de formation scientifique (biochimiste), né en Russie, rédige au début des années 50 les trois premiers volumes du cycle de Fondation, considéré comme une des œuvres-socle de la science-fiction moderne. Elle raconte le déclin puis la renaissance d’un empire galactique de plusieurs millions de mondes, à une époque située à plus de 20’000 ans dans le futur.

Science imaginaire, la psychohistoire est au centre de l’intrigue de Fondation. Il s’agit d’une forme de sociologie mathématique qui permet de prédire l’avenir des sociétés, ou plus exactement de calculer les probabilités de différents avenirs possibles. Mais ses équations ne sont applicables qu’à très grande échelle et il suffira d’un seul individu pour bouleverser le plan établi par Hari Seldon, fondateur de la psychohistoire.

Prédire l’avenir et mettre l’avidité en équation

Car comprendre n’est qu’une première étape. L’ambition ultime du projet va nettement plus loin. Il s’agit de voir venir les crises, afin d’en atténuer si possible les effets. Ainsi, au printemps 2008, Dirk Helbing et deux de ses collègues avaient publié dans la revue ScienceDaily un papier mettant en garde contre une instabilité dangereuse du système financier. Quelques mois plus tard, le monde basculait dans la crise que l’on sait.

FuturICT sera-t-il pour autant capable de prédire l’avenir, comme le fait la psychohistoire dans les romans de science-fiction d’Isaac Asimov (ci-contre) ?

«Il faut prendre le terme prédiction avec beaucoup de précautions, répond Dirk Helbing La prédiction est toujours limitée, il vaut mieux parler de prévision. C’est vrai pour les prévisions météo, ce qui ne les empêche pas d’être utiles. Par contre, ce qu’on peut certainement faire, c’est avoir une connaissance des systèmes sociaux et économiques suffisante pour dire comment certains changements dans ces systèmes peuvent les affecter».

D’ailleurs, ajoute le sociologue, «il n’est pas toujours forcément nécessaire de prévoir pour arriver à améliorer le système. Notre but est surtout d’atténuer les crises, de réduire les pertes et aussi de générer de nouveaux bénéfices, de détecter de nouvelles opportunités».

Reste qu’une crise comme la crise financière de 2008 doit certainement beaucoup à l’avidité humaine. Cela aussi, les socio-mathématiciens sont-ils capables de le calculer ?

«Absolument, répond sans hésiter Dirk Helbing. Nous venons de publier un papier sur cette question, qui examine comment l’avidité influence l’émergence de la coopération et de la cohérence sociale. Et nous avons pu établir qu’un peu d’avidité rend les gens assez ambitieux pour essayer vraiment d’établir quelque chose ensemble. Par contre, il y a un certain niveau à partir duquel l’avidité n’améliore plus les performances du système, mais au contraire le déstabilise».

Confiance

Avec le Human Brain Project et Guardian Angels, FuturICT est donc le troisième projet ancré en Suisse à prétendre au titre de flagship de la recherche européenne. Mais au final, les élus ne seront au mieux que deux et la décision à ce stade sera plus politique que scientifique.

Comme Dirk Helbing, Steven Bishop n’en croit pas moins fermement aux chances du projet. «Bien sûr, ce sont les politiques qui choisiront, mais ils demanderont à leurs conseillers scientifiques pour qui ils doivent voter. Et je pense que ça va marcher, parce qu’il est vital maintenant de résoudre certains problèmes, et nous avons des moyens de le faire», affirmait début mai le mathématicien britannique.

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