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La Suisse à la conquête de l’espace

Claude Nicollier
L’astronaute suisse Claude Nicollier effectue des travaux de maintenance sur le télescope spatial Hubble, le 23 décembre 1999. Keystone / Str

Dès la fin des années cinquante, la Suisse est très active dans la recherche spatiale. Et comme celle-ci est internationale, le pays flirte parfois avec les limites de sa neutralité. Mais elle agit ainsi dans les intérêts de son secteur de la recherche et de son industrie.

«Le premier atterrissage d’un être humain sur un autre corps céleste honore les capacités, le courage et l’esprit d’entreprise de votre grande nation. Ce succès marquera un jalon dans les efforts incessants de l’humanité pour étudier et maîtriser les forces de l’univers. Les milieux scientifiques suisses ont suivi les développements du programme avec un intérêt particulier, attendu que l’Université de Berne a eu l’occasion extraordinaire de participer aux expériences scientifiques sur la Lune. Puisse Apollo 11 marquer le début d’une nouvelle époque de collaboration dans l’espace, pour le bien de tous les peuples.

TélégrammeLien externe du président de la Confédération Ludwig von Moos au président des Etats-Unis, 21 juillet 1969.

A l’occasion des 50 ans du premier homme sur la Lune, la Suisse se souvient de la contribution de l’Université de Berne à la mission Apollo. La fameuse voile d’aluminium destinée à collecter du vent solaire, développée par la haute école suisse est la seule expérience non américaine à trouver place dans le module qui se pose sur la Lune.

Bien que cet épisode résulte d’une série de circonstance favorables, il démontre la qualité de la recherche helvétique. «Déjà à l’époque, la Suisse est très active dans le domaine de la recherche spatiale et de la collaboration au niveau européen», rappelle Franziska Ruchti, collaboratrice des Documents diplomatiques suisses (DodisLien externe).

Un petit pays doit collaborer

A la fin des années 50, la mise en orbite du premier stellite russe Spoutnik 1 (1957) et la création de la NASA (1958) amènent plusieurs pays européens à s’interroger sur la possibilité d’assumer un rôle autonome dans la course à l’espace.

Sur invitation du ministre suisse des Affaires étrangères Max PetitpierreLien externe, les délégués de différents pays d’Europe occidentale intéressés à collaborer dans le domaine spatial se rencontrentLien externe à fin novembre 1960 au CERN à Meyrin, près de Genève.


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Les délégués à la Conférence intergouvernementale sur la recherche spatiale, qui se tient à Meyrin du 28 novembre au 1er décembre 1960. ESA-CIRS

C’est de cette conférence, qui réunit des représentants des gouvernements et des scientifiques, que naît l’impulsion qui conduira en 1964 à la fondation de l’Organisation européenne pour la recherche spatiale (ESRO). La Suisse est un des pays fondateurs.

«C’est peut-être l’humilité de la Suisse en tant que petit pays qui nous a amené à admettre dès le départ que nous n’arriverions jamais dans l’espace avec nos seules forces», note Jakob BurkhardtLien externe, chef de la Direction des organisations internationales au Département politique fédéral (DPF – actuellement Affaires étrangères), lors d’une conférence des ambassadeurs en 1964.

Neutralité à maillage large

A l’époque, ce diplomate de haut rang est bien conscient que la collaboration dans le domaine spatial, spécialement avec des pays membres de l’OTAN, peut apparaître, au vu de ses implications militaires, comme une entorse à la neutralité de la Suisse. Mais il précise aussitôt que les aspects prépondérants sont ailleurs: «Nous ne devons pas et nous ne pouvons pas concevoir cette politique dans un sens aussi étroit qu’elle nous empêche de poursuivre nos intérêts scientifiques au niveau international».

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Documents diplomatiques suisses Cet article fait partie d’une série consacrée à l’histoire de la diplomatie suisse, réalisée en collaboration avec les Documents diplomatiques suisses (Dodis). Le Centre de recherche Dodis, un institut de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales, est le pôle de compétence indépendant pour l’histoire de la politique étrangère et des relations internationales de la Suisse depuis la fondation de l’Etat fédéral en 1848. dodis

Quelques années plus tard, dans une noteLien externe relative à une collaboration entre l’Europe et les Etats-Unis sur le programme destiné à succéder à Apollo, Emanuel Diez, chef du Service juridique du DPF, tout en admettant qu’il y a «de nombreux doutes relatifs à la politique de neutralité», note que «considérant l’intérêt important, sinon vital, de la Suisse dans la coopération internationale en matière spatiale, on peut admettre que celle-ci continue temporairement à participer aux discussions».

Intérêts scientifiques et industriels

«La recherche spatiale, tout comme l’énergie atomique, a amené le Département politique à s’intéresser à des questions scientifiques qui n’étaient pas liées à ses activités auparavant», relève Franziska Ruchti.

Dans son discours de 1964Lien externe, Jakob Burkhard définit la Conférence de GenèveLien externe sur l’utilisation pacifique de l’énergie atomique de 1955 comme le moment à partir duquel le DPF a commencé à s’occuper des aspects diplomatiques de la recherche scientifique.

Cependant, les intérêts de l’industrie helvétique étaient tout aussi importants. Les entreprises de matériel de guerre et l’industrie mécanique possédaient les connaissances nécessaires pour être compétitives dans la recherche spatiale. Et bien sûr, elles étaient intéressées par d’éventuelles commandes.

Du reste, la participation de la Suisse à l’ESRO s’est faite, surtout au début, au profit de l’industrie, comme en témoigne une noteLien externe du DPF de 1970. L’entreprise d’armement Contraves, appartenant au groupe Oerlikon Bührle, a joué par exemple un rôle de premier plan dans la construction des deux premiers satellites européens, ESRO IA et IB.



De l’ESRO à l’ESA

Les représentants de l’industrie helvétique vont également appeler à la participation de la Suisse au Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux (ELDO), qui vise à construire une fusée européenne. Mais comme l’industrie ne veut pas participer aux coûts, la Confédération opte pour un statut d’observateur.

Toutefois, quand l’ESRO et l’ELDO fusionnement en 1975 pour donner vie à l’Agence spatiale européenne (ESALien externe), la Suisse opte sans hésitation pour un statut de membre à part entière. «L’adhésion de la Suisse à l’ESRO a répondu aux attentes […] Un bon nombre de Suisses travaillent dans l’organisation, certains à des postes dirigeants. L’industrie suisse a gagné sa part de commandes industrielles de l’ESRO», écrit le DPF aux représentants diplomatiques à l’occasion de son adhésion à l’ESA.

Mais la collaboration dans le cadre de l’ESRO, puis de l’ESA était également importante d’un point de vue plus strictement diplomatique. «La participation de la Suisse aux organisations européennes de recherche spatiale a constitué un exemple parfait d’intégration européenne efficace en dehors de la Communauté européenne», note Sacha Zala, directeur de Dodis.

Et à l’intérieur de l’ESA également, la Suisse va réussir à jouer un rôle important. Oerlikon Space (devenue RUAG Space) fournit les coiffes des différentes versions de la fusée Ariane. Et avec l’astronaute Claude Nicollier, sélectionné en 1977Lien externe et devenu le premier non-américain à atteindre le rang de spécialiste de mission à la NASA, la Suisse va finalement mettre un pied dans l’espace.



(Traduction de l’italien: Marc-André Miserez)

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