Des perspectives suisses en 10 langues

La réalité virtuelle pour recabler le cerveau

Une image numérique microscopique d'une coupe à travers les tissus du cerveau, montrant de nombreuses cellules et neurones. Keystone

En Suisse, des start-up et des laboratoires trouvent des solutions high-tech pour aider les patients atteints par des troubles du cerveau. Un moyen de pallier le manque mondial de traitements pour les maladies dégénératives.

Du haut du pic Rocher de Léaz surplombant le Rhône en France, un long chemin conduit au fond de la vallée. Perché sur la falaise, le sifflement du vent dans mes oreilles, je ne me sens pas particulièrement sûr malgré mon harnais d’escalade et le cordage. À ma droite, un autre alpiniste descend dans ma direction en agitant ses bras pour vérifier si je suis bien.

C’est alors seulement que je réalise que tout cela n’est pas réel. J’avais oublié que je portais un casque de réalité virtuelle (VR) munis d’écouteurs. Au lieu d’être perché au sommet d’une falaise, je me trouve à l’intérieur d’une «machine de réalité de substitution», sur un stand de démonstration au ForumLien externe du cerveau 2015, une conférence internationale de neurosciences qui s’est tenue à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFLLien externe) au début du mois.

Ce nouveau projet expérimental – nom de code: RealiSMLien externe – mobilise les neurosciences cognitives et la réalité virtuelle pour étudier la mémoire et la perception de l’espace à la portée d’une personne. Et ce pour en tirer des applications cliniques et thérapeutiques, selon le chef de projet Bruno Herbelin.

«Nous agissons sur les stimuli qui permettent au cerveau de construire notre présence dans l’espace afin que l’expérience semble naturelle et que vous oubliiez tout le travail qui se passe derrière», précise Bruno Herbelin.

Les scènes d’escalade panoramique qui me sont apparues avec le casque VR ont été «cousues» à partir d’images réelles préenregistrées en utilisant 16 caméras GoPro sur un trépied spécial. Les sons en direct ont été capturées à l’aide de quatre paires de microphones.

Et ça n’est pas tout. Le casque est équipé d’une petite caméra stéréoscopique qui filme mes mains, mes pieds et les mouvements de mon corps. De telle sorte que je bouge dans la scène qui défile en temps réel. Mon cerveau est ainsi amené à croire que je suis vraiment au bord de la falaise.

Tout cela semble très excitant pour des joueurs. Mais l’équipe de RealiSM espère trouver des applications cliniques. En utilisant des techniques de thérapie cognitivo-comportementale, les spécialistes pourraient traiter l’anxiété, les troubles de l’humeur ou le stress post-traumatique. La technologie devrait être mise à disposition dans les deux prochaines années afin que les scènes expérimentales puissent être fabriquées sur mesure.

«Nous ne sommes pas câblés pour que nos expériences modifient ce câblage dans nos cerveaux», relève le Dr Jamil El Imad, co-président du projet.

Réhabilitation

L’entreprise suisse MindMaze a également fusionné les neurosciences avec la technologie VR. Cette spin-off de l’EPFL a mis au point plusieurs applications, y compris ‘MindPlay’, un produit peu coûteux pour aider à remettre ses membres en mouvement après un accident vasculaire cérébral (AVC).

Les patients sont guidés à travers une série d’exercices, à l’hôpital ou à la maison, tandis qu’une caméra sur mesure suit leurs mouvements. Une victime d’AVC voit un avatar de ses membres effectuant des mouvements précis comme de frapper une cible. Par la suite, l’image de l’avatar est inversée de sorte que le cerveau croit que le membre handicapé est en fait sain.

PDG et co-fondateur de MindMazeLien externe, Tej Tadi dit que cette application conduit à «une certaine forme de restructuration ou d’activation entre les différentes aires corticales, ce que nous mesurons, puis personnalisons. L’exercice maximise la plasticité du cerveau.»

Les exercices permettent la réactivation des connexions neuronales entre le cerveau et les membres endommagés. Dans de nombreux cas, ils permettent aux bras ou aux jambes de se mouvoir à nouveau.

«Les trois semaines qui suivent un AVC constituent une fenêtre d’opportunité en or. Nos études à l’hôpital universitaire de Lausanne (CHUV) et à Sion ont montré qu’il est possible de commencer la réadaptation, une semaine après un AVC», explique Gangadhar Garipelli, l’un des scientifiques de MindMaze.

Un prototype facilitant le diagnostic et la prévision des crises d’épilepsie a également été présenté lors de la conférence de Lausanne le mois dernier. Développé par la société de recherche médicale NeuroPro basée à Zurich, le dispositif est en cours d’élaboration au Centre suisse de l’épilepsie. Les essais cliniques seront bientôt effectués. Et le dispositif devrait être en vente dans les deux ans.

Plus

Plus

Un nouveau dispositif pour prévoir les crises d’épilepsie

Ce contenu a été publié sur Des scientifiques, des chefs d’entreprise et des décideurs politiques se sont réunis à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne pour discuter de solutions technologiques innovantes, de dispositifs médicaux et de médicaments visant à améliorer les fonctions cérébrales et à traiter le nombre croissant de troubles neurologiques tels que l’épilepsie. Les crises d’épilepsie peuvent être liées à…

lire plus Un nouveau dispositif pour prévoir les crises d’épilepsie

Les grands projets sur le cerveau

Les neurosciences sont en plein essor dans le monde entier avec un développement  de grands projets sur le cerveau aux Etats-Unis, en Australie, en Chine, au Japon et en Israël pour tenter de percer ses mystères.

En Suisse, la région lémanique et en particulier l’EPFL sont des acteurs clés dans les neurosciences. L’EPFL est le coordinateur principal du HumanLien externe Brain Project financé par l’Union européenne, avant une restructuration récente qui lui a fait perdre son rôle de leadership. Cependant, le projet reste une force motrice, avec plus de 100 personnes y travaillant sur le Campus Lien externeBiotech de Genève.

Lors du Forum sur le cerveau, le président de l’EPFL Patrick Aebischer – lui-même neuroscientifique – a salué ces nouvelles technologies permettant d’aider les patients souffrant de troubles du cerveau: «Les récents progrès permettent de regarder le cerveau d’une manière différente et de recueillir des données comme jamais auparavant.»

S’adressant aux scientifiques du forum, Patrick Aebischer a rappelé les priorités de ce secteur: «Ces grands projets sur le cerveau sont étonnants. Mais comment pouvons-nous mettre ces nouvelles connaissances au service de nouvelles thérapies? Nous avons fait de grands progrès dans notre compréhension du cerveau. Mais cela ne s’est pas traduit par autant de nouvelles thérapies.»

Toujours pas de remède

Malgré ces technologies futuristes pour aider les personnes souffrant d’épilepsie, d’accident vasculaire cérébral, de lésions cérébrales et de troubles de l’humeur, de nouvelles thérapies peinent à voir le jour.

Les pays du G8 ont fixé l’objectif de trouver un remède ou un traitement efficace de la démence d’ici à 2025. Certes, des chercheurs américains viennent d’annoncer avoir peut-être trouvé une cause possible d’Alzheimer, une maladie qui affecte plus de 60% des personnes atteintes de démence. Mais il n’y a encore aucun remède.

Entre 2002 et 2012, 99,6% des essais coûteux de médicaments visant à prévenir, guérir ou améliorer les symptômes de la maladie d’Alzheimer ont échoué ou ont été abandonnés. Pour le cancer, la proportion est de 81%.

Les experts soutiennent que les essais sont effectués trop tard, chez des patients où la maladie est trop avancée. Les scientifiques ont ciblé différents aspects de la maladie, mais un seul médicament s’est révélée efficace: la mémantine, qui est utilisé pour améliorer la mémoire.

L’ignorance des causes de la maladie d’Alzheimer reste grande, tout comme la nature hétérogène de la maladie, la difficulté de la diagnostiquer et sa lente progression, selon les scientifiques.

«Quand vous regardez le nombre de médicaments en neurosciences approuvés par la Food and Drug Administration des États-Unis ou son équivalent européen (European Medicines Agency), c’est déprimant», s’insurge Patrick Aebischer.

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

Les plus appréciés

Les plus discutés

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision