Faits divers: les médias en font-ils trop?
En écho à la réapparition d'une jeune Autrichienne séquestrée pendant huit ans, une étude zurichoise vient montrer que la majorité des victimes de faits divers souffrent après coup des comptes-rendus médiatiques.
Mais les médias informent aussi pour prévenir, rétorque le président du Conseil suisse de la presse.
D’un côté: des parents qui alertent eux-mêmes les médias pour raconter l’horreur vécue par leur fillette, violée dans les Grisons par deux garçons. De l’autre: Natascha Kampusch, jeune femme autrichienne séquestrée pendant huit ans qui supplie qu’on la laisse tranquille.
Deux attitudes différentes, dans des drames bien sûr incomparables, mais qui (re) posent une question lancinante: les besoins d’informer – des médias – et de savoir – du public – sont-ils compatibles avec ceux des victimes de faits divers?
Andreas Maercker, professeur de psychopathologie à l’Université de Zurich, répond clairement par la négative: «D’un point de vue psychologique, rien ne justifie d’exposer aux médias des victimes traumatisées.»
Le chercheur se base sur une étude publiée en juin dernier dans le journal «European Psychologist» et menée auprès de 63 personnes.
Selon cette recherche, la grande majorité des victimes de faits divers violents subissent de nouvelles blessures à la lecture ou à la vision ultérieure des comptes-rendus médiatiques qui leur ont été consacrés.
De la tristesse et de la colère
«Nous ne nous attendions pas un résultat aussi négatif, affirme Andreas Maercker. L’attention des médias semblait plutôt de nature à apporter une reconnaissance sociale susceptible d’aider les victimes à se remettre.»
Selon l’étude, c’est l’inverse qui se produit, et cela indépendamment de la fidélité des comptes-rendus aux faits: deux tiers des personnes interrogées ont ressenti de la tristesse, la moitié se disant en outre carrément effrayée de ce qu’elle lisait, voyait ou entendait, et un tiers éprouvait de la colère. Au total, seuls 5% se disaient satisfaits et 11% se sentaient soutenus.
«C’est comme une blessure qui se rouvre sans cesse», poursuit le professeur. Extérioriser ces sentiments ne serait donc d’aucune aide? «Contrairement au journal intime, se confier à un média n’a pas d’effet cathartique», répond Andreas Maercker.
Le président du Conseil suisse de la presse est convaincu du contraire. «Le fait que de nombreuses personnes se tournent vers les médias montre que le besoin de raconter est très grand».
«Souvenez-vous des victimes des attentats de Louxor en Egypte ou de la fusillade du parlement cantonal à Zoug, poursuit Peter Studer. Les survivants étaient avides de parler, et pas seulement juste après les faits. Mais aussi des mois plus tard.»
Protéger des victimes potentielles
Peter Studer fustige en outre le parti pris de l’étude. «Il n’est pas suffisant de ne prendre que le point de vue de la victime sous l’angle de ses besoins psychologiques en considération.»
«Il ne faut pas oublier que l’information a aussi pour but de prévenir d’autres malheurs et donc de protéger des victimes potentielles. Les médias ont le devoir d’essayer d’en savoir davantage», souligne-t-il.
«Mais il est vrai qu’il faut toujours procéder à une pesée des intérêts, entre le respect de la victime d’une part, la pertinence à raconter un événement et l’intérêt du public à le connaître d’autre part.»
Que Natascha Kampusch veuille rester à l’abri des regards relève de son bon droit, estime le président de l’instance éthique des médias suisses. Andreas Maercker va lui beaucoup plus loin: il plaide pour un «délai de grâce» d’au moins un mois, voire de trois mois» durant lequel on laisserait les victimes «tranquilles».
Un vœu pieu? «C’était peut-être un vœu pieu il y a quelques années, mais on constate des progrès, estime le chercheur. Natascha Kampusch a pu, jusqu’ici, se préserver».
Destinée à ériger des barrières
«La lettre qu’elle a écrite est manifestement destinée à ériger une barrière protectrice entre elle et le public, note Andreas Maercker. Mais peut-être la regrettera-t-elle un jour. Il arrive que certaines personnes, après coup, ne se retrouvent plus dans ce qu’elles ont pu dire.»
Parmi les titres helvétiques accordant une attention toute particulière aux victimes, le «Blick», sans réagir directement à l’étude, assure que les comptes-rendus sur des victimes se font toujours en accord avec ces dernières. «Nous ne «jouons» – si on peut dire – jamais une victime contre elle-même», explique le chef du service Clemens Studer.
Le journaliste dit ne pas avoir connaissance de réactions négatives après coup, sauf en cas de procès, ce qui est un autre cas de figure: «Très souvent, les réactions sont même plutôt positives».
A Rhäzhüns dans les Grisons, c’est ce que semblent aussi avoir pensé les parents de la fillette violée.
swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich
Pour l’étude du professeur de psychopathologie de l’Université de Zurich Andreas Maercker 63 personnes ont été interrogées.
Elles ont été les victimes de vols avec ou sans violences ou de violence domestique ont été interrogées.
L’enquête portait sur leur perception des comptes-rendus médiatiques qui leur avaient été consacrés.
Les réactions sont majoritairement négatives:
Deux tiers des personnes interrogées ont ressenti de la tristesse.
La moitié s’est en outre dit effrayée de ce qu’elle lisait, voyait ou entendait.
Un tiers éprouvait de la colère.
Seuls 5% se disaient satisfaits et 11% se sentaient soutenus.
Natascha Kampusch, 18 ans aujourd’hui, a réussi le 23 août dernier à s’évader du réduit souterrain où elle vivait séquestrée depuis huit ans, dans un village à une vingtaine de kilomètres de Vienne.
Son ravisseur présumé, un technicien de 44 ans, s’est suicidé peu après alors que la police était à ses trousses.
Natascha a fait lire une lettre écrite à l’intention du public, mais elle ne veut pas se montrer ni dévoiler le lieu où elle se trouve.
Un drame similaire a eu lieu au Japon: une jeune fille avait disparu en novembre 1990, à l’âge de 9 ans, et n’a été retrouvée, par hasard, que fin janvier 2000, neuf ans et deux mois plus tard.
Entre-temps, elle n’avait jamais quitté une chambre au second étage de la maison de son kidnappeur, un chômeur alors âgé de 37 ans.
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