L’énergie des étoiles domestiquée
Parole de physicien: l'électricité de demain sera tirée de la fusion thermonucléaire. Domaine où l'Europe est leader et la Suisse incontournable.
Depuis lundi et pour cinq jours, Montreux est promue au rang de capitale planétaire de la fusion thermonucléaire. La station de la Riviera vaudoise accueille près de 700 spécialistes venus de 43 pays à l’enseigne de la 29ème Conférence annuelle de la Division physique des plasmas de la Société européenne de physique.
Au centre des débats: la construction future de l’ITER (Réacteur thermonucléaire expérimental international), un projet qui implique non seulement l’Europe au sens large – y compris les pays de l’Est et la Suisse -, mais également le Japon et le Canada.
Les Etats-Unis, quant à eux, ont choisi récemment de quitter ce train, mais ils pourraient le réintégrer sous peu.
En attendant, c’est bien le Vieux Continent qui mène la barque. La première centrale thermonucléaire du monde devrait donc voir le jour en France ou en Espagne… sauf si les Japonais ou les Canadiens ne venaient à emporter le morceau.
Et tant pis si l’ITER n’est pas prévue pour produire du courant. Cette étape est indispensable pour la mise au point des différentes techniques qui serviront aux centrales futures.
Protons, électrons, neutrons
Pour bien comprendre les enjeux, un petit rappel s’impose. Toute la matière de l’univers, qu’elle soit inerte ou vivante, est composée d’atomes. Chaque atome est formé d’un noyau, fait d’un ou plusieurs protons, et d’électrons gravitant autour.
Le nombre d’électrons (à charge électrique négative) est toujours identique au nombre de protons (charge positive) qui composent le noyau.
Dans le noyau encore, on peut trouver un ou plusieurs neutrons (charge électrique neutre), dont la présence modifie les propriétés de la matière. On parle d’isotopes pour désigner les différentes versions du même atome, suivant leur nombre de protons.
Fusionner au lieu de casser
Dans une centrale nucléaire classique, dite à fission, on «casse» des atomes très lourds, soit de l’uranium (92 neutrons, 92 électrons), ce qui génère des «cendres» radioactives et toutes sortes de particules indésirables.
Le principe de la fusion est exactement inverse. On prend deux atomes de l’élément le plus léger, l’hydrogène (1 proton, 1 électron), que l’on fait fusionner pour donner un atome d’hélium (2 protons, 2 électrons). Plus précisément, on se sert de deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium (avec un neutron dans le noyau) et le tritium (deux neutrons).
Et c’est ici que les perspectives deviennent fabuleuses. La Suisse consomme annuellement 50 milliards de kilowattheures d’électricité. Pour les produire, il est nécessaire de brûler l’équivalent de 30 supertankers de pétrole, d’un train de charbon de 3000 kilomètres de long ou de 1000 tonnes d’uranium… avec tous les désagréments que l’on connaît pour l’environnement.
A l’opposé, les centrales à fusion seraient capables de livrer la même quantité de courant en n’utilisant que quelques centaines de kilos de deutérium (présent en abondance dans l’eau de nos lacs) et de tritium.
Ce dernier isotope, il est vrai, doit être extrait d’un autre élément, le lithium, mais ce dernier est également présent en quantités très importantes dans la croûte terrestre.
La puissance des étoiles…
Le principe de la fusion est bien connu des physiciens. C’est lui qui allume les étoiles, ce qui en fait la source d’énergie la plus commune de l’univers.
Le problème est que pour accepter de fusionner, les atomes doivent se trouver dans des conditions de température et de pression exceptionnelles, telles qu’on les rencontre par exemple au cœur de notre soleil.
Comme il n’est pas question de créer des pressions pareilles en laboratoire, on se rattrape en augmentant la température. Au lieu des 15 millions de degrés de la fournaise stellaire, on pousse ici le thermomètre jusqu’à… 150 millions de degrés!
A ces températures, la matière n’est même plus structurée en atomes. Protons, électrons et neutrons flottent librement dans une sorte de «soupe» gazeuse, nommée plasma.
…et celle des champs magnétiques
Pour éviter que la chaleur du plasma ne vaporise instantanément les parois du réacteur, on le fait tourner, dans une chambre en forme d’anneau, encadré d’un puissant champ magnétique. Son pouvoir isolant est stupéfiant: chaque centimètre d’épaisseur suffit à faire baisser la température d’un million de degrés.
Ainsi, à un mètre cinquante de l’anneau de plasma, on ne sent plus la chaleur. Les parois du réacteur sont protégées, mais elles subissent malgré tout un intense bombardement de rayons X, de rayons gamma et surtout de neutrons, qui en altère la structure et rend le métal radioactif.
Des déchets malgré tout
C’est l’inconvénient du système. Les briques dont sont faites ces parois devront être changées tous les cinq à six ans, mais leur taux de radioactivité sera bien plus faible que celui des déchets qui sortent des centrales à fission.
Ces briques seront même redevenues inoffensives après moins de cent ans et on pourra les recycler à l’intérieur des centrales, affirment les scientifiques. Pour le reste, la fusion a tout d’une énergie «verte». Son usage n’implique ni dégagement de gaz toxiques, ni transports de matières dangereuses. Et bien sûr, le rendement est exceptionnel: un gramme de combustible libère 10 millions de fois plus d’énergie qu’un gramme de pétrole.
Tournés vers l’avenir
Aujourd’hui, l’Europe n’a jamais été aussi près de poser la première pierre de son futur réacteur expérimental. Les tests effectués sur le JET, sa version miniature installée en Angleterre sont probants. C’est donc l’enthousiasme qui domine au sein de la communauté des physiciens des plasmas réunis à Montreux.
Carrément lyrique, Umberto Finzi, conseiller principal sur les questions de fusion thermonucléaire auprès de la Commission européenne est même persuadé qu’il n’y aura «pas de véritable progrès futur de l’humanité tant que les hommes ne seront pas parvenus à contrôler cette énergie».
La Suisse aux avant-postes
Enthousiaste également, Charles Kleiber parle «d’investissements pour nos enfants, nos petits-enfants et nos arrière-petits-enfants». Si le secrétaire d’Etat à la science et à la recherche ne voit pas la possibilité d’une exploitation industrielle avant 2050, il juge important que la Suisse maintienne sa place dans cette aventure, où «ses compétences sont remarquables et remarquées».
Et pour cause: le Centre de recherche de physique des plasmas de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et son antenne installée à l’Institut Paul Scherrer (PSI) de Villigen occupent ensemble130 personnes et fournissent une contribution de choix au programme européen.
C’est à l’EPFL en effet que fonctionne le système de chauffage du plasma le plus performant du monde et le PSI est leader dans les tests des câbles qui équiperont le projet ITER.
Quant à l’industrie helvétique, elle commence à manifester son intérêt, puisqu’elle a raflé plus de 6% des commandes de composantes pour le JET, alors que la participation de la Suisse à ce projet n’était que de 3,5%.
swissinfo/Marc-André Miserez
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