L’eau redescend, les critiques montent
Les autorités suisses auraient dû en faire bien plus pour prévenir les inondations et leurs conséquences, dénoncent les experts et les écologistes.
L’agence de prévention des catastrophes de l’ONU relève les lacunes du système d’alarme, tandis que le WWF critique les «corsets» dans lesquelles on enferme les rivières et qui favorisent les crues.
Mercredi déjà, les premières critiques sont venues de l’ISDR, l’agence genevoise des Nations Unies chargée de la stratégie de prévention des catastrophes naturelles.
«Nous ne comprenons pas qu’un pays développé comme la Suisse, qui a pourtant une longue expérience des inondations, n’ait pas réussi à faire mieux», déclare à swissinfo Salvano Briceno, directeur de l’ISDR.
Selon lui, le système d’alarme n’a pas fonctionné correctement et il a dû y avoir «un chaînon manquant dans la chaîne de communication».
Salvano Briceno ajoute que le fait de voir des maisons emportées par des coulées de boue ou des glissements de terrain indique clairement que «la législation sur l’aménagement du territoire n’a pas été complètement appliquée».
Une loi pour rien
Depuis 1991, la Suisse dispose d’une Loi fédérale sur l’aménagement des cours d’eau. Elle oblige les cantons à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leurs populations, y compris en élargissant les lits des rivières et en créant des barrages et des réservoirs.
Elle prévoit également que les cours naturels des rivières doivent être dans la mesure du possible maintenus ou réaménagés dans leur état initial.
Or, force est de constater que 14 ans après l’entrée en vigueur de ce texte, la plupart des cantons n’ont rien fait.
Selon la branche suisse du WWF, les inondations actuelles viennent souligner dramatiquement l’échec des autorités à faire appliquer la loi et «rappellent à quel point il est important de donner un espace suffisant aux rivières et aux torrents».
«Depuis des années, on enferme les cours d’eau dans d’étroits « corsets » pour accélérer au maximum l’écoulement. Cette pratique est un échec», note l’organisation de protection de l’environnement dans un communiqué.
Berne montrée du doigt
Depuis le début de la crise, c’est les autorités du canton de Berne qui ont reçu les critiques les plus vives. Alexander Tschäppät, maire de la capitale – dont la partie basse est sérieusement inondée -, en rejette l’essentiel de la faute sur le canton, trop lent à réagir selon lui.
Des accusations que rejette Barbara Egger, ministre cantonale en charge du dossier. «Depuis six ans, nous avons fait tout ce qui était possible, au vu des intérêts des différents groupes que nous avions à prendre en compte», a-t-elle déclaré à la radio alémanique.
Barbara Egger a ajouté que le canton n’avait simplement pas les ressources financières et humaines pour gérer un désastre de cette ampleur.
Les poissons ou les humains
Depuis la dernière grande crue, en 1999, la ville de Berne a été incapable de réaliser son plan de draguage de l’Aar. Le projet s’est en effet heurté à l’opposition de plusieurs groupes d’intérêts, dont celui des pêcheurs amateurs.
Alexander Tschäppät avait alors usé de rhétorique pour demander si la protection des zones de frai du poisson était plus importante que celle des habitants et de leurs maisons. Mais en vain.
De plus, sur ce dossier, la ville de Berne dépend largement du bon vouloir des villes et des villages situés en amont de l’Aar, jusqu’à Thoune. En 2000, trois de ces communes avaient refusé le premier plan d’élargissement du lit de la rivière qui aurait permis d’augmenter sa capacité à prévenir les inondations.
Les auteurs du projet ont donc dû remettre l’ouvrage sur le métier et le nouveau projet n’est pas attendu avant 2007, s’il voit jamais le jour.
A Berne même, la dernière version en date du plan de correction fluviale s’est en outre trouvé un adversaire farouche en la personne de Kurt Wasserfallen, membre de l’exécutif de la ville. Selon le Bund, quotidien de la capitale, la réalisation des travaux noierait l’itinéraire favori des promenades que l’édile affectionne au bord de l’Aar…
Un pipeline pour Thoune
Plus en amont, Ernst Spycher, ingénieur hydraulique responsable du projet de protection contre les inondations du Lac de Thoune, explique à swissinfo le plan élaboré pour cette région, située à 30 kilomètres en amont de Berne.
Il s’agira, parmi d’autres mesures, de construire un pipeline pour absorber les eaux qui menaceraient Thoune. Selon lui, la réalisation de ces travaux aurait permis de diminuer de moitié les dommages causés par les inondations catastrophiques de 1999.
Le canton a-t-il traîné les pieds? Ernst Spycher réfute l’accusation. «Je trouve au contraire que nous sommes allés très vite. Sitôt après les crues de 1999, nous avons commencé à chercher des moyens d’éviter qu’un pareil désastre se reproduise».
Les lacs ne sont pas des barrages
Mais, comme l’explique Ernst Spycher, la situation physique, géologique et hydraulique de cette région des grands lacs de l’Oberland bernois est extrêmement complexe.
Peter Volkart, chef du Laboratoire d’hydrologie de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, confirme qu’il n’y a pas de solution miracle et rapide pour prévenir les crues des lacs de Brienz et de Thoune, qui se succèdent sur le cours de l’Aar.
«Les lacs ne sont pas des barrages, on ne peut y régler artificiellement le niveau des eux que dans une très faible mesure», explique-t-il à swissinfo, ajoutant que la limite entre un niveau normal et un niveau de débordement est souvent très mince.
Peter Volkart fait également remarquer que de nombreuses mesures pour prévenir les inondations ont été imaginées depuis les années 80. mais qu’elles se sont souvent heurtées aux oppositions des défenseurs de l’environnement, des pêcheurs, des plaisanciers ou des riverains.
Quant au pipeline prévu comme vanne de sécurité pour le Lac de Thoune, les deux spécialistes se montrent optimistes. Selon eux, la construction va avancer plus vite dorénavant et il devrait être opérationnel dès 2007.
swissinfo, Dale Bechtel
(traduction et adaptation de l’anglais, Marc-André Miserez)
La Loi fédérale de 1991 sur l’aménagement des cours d’eau vise à protéger les populations et les bâtiments contre les inondations et les glissements de terrain.
Chaque canton est responsable de la mise en application des mesures nécessaires dans le domaine de l’aménagement des cours d’eau et de celui du territoire.
En cas de besoin, la Confédération doit participer au financement de ces aménagements.
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