Recherches sur l’embryon: le temps de la réflexion
Faut-il autoriser l'importation de cellules souches d'embryons humains à fins de recherche médicale? Si la loi suisse ne s'y oppose pas formellement, la Commission nationale d'éthique pour la médecine humaine (CNE) refuse de brûler les étapes et appelle à un vaste débat.
Pour la médecine, les cellules souches représentent un espoir formidable. Dans les premières heures suivant sa conception, l’embryon est composé de «briques» rigoureusement identiques. Ces cellules non encore spécialisées peuvent servir de «matière première» pour de vraies «usines à pièces de rechange» où l’on pourra un jour cultiver aussi bien des tissus que des organes entiers.
On sait désormais que l’organisme adulte possède aussi quelques cellules souches et que celles-ci peuvent être prélevées sans dommage pour le «donneur». Mais les techniques sont loin d’être au point et, de l’avis des spécialistes, l’embryon restera encore pour longtemps une source irremplaçable de ce précieux matériau de base.
Or, pour le prélever, il faut d’abord détruire un embryon. D’où l’importance de la question éthique.
Le législateur n’y avait pas pensé
En Suisse, la loi de 1998 interdit la production d’embryons in-vitro à d’autres fins que l’implantation dans l’utérus d’une mère souffrant d’infertilité. Malgré cela, les hôpitaux et les laboratoires disposent de centaines d’embryons congelés dans de l’azote liquide, produits avant la promulgation de cette loi – soit dit en passant l’une des plus restrictives du monde.
Le fait n’a rien de choquant. Pour une opération aussi délicate que la fécondation in-vitro, la science se doit de prendre toutes les précautions nécessaires et il est couramment d’usage de «fabriquer» des embryons en surnombre. Pas question toutefois de les utiliser à des fins de recherche, puisque la loi suisse l’interdit désormais.
«En fait, la loi de 98 était dirigée contre le diagnostic pré-implantatoire, voire contre le choix préalable du sexe de l’enfant à naître, explique le docteur Jean Martin, médecin cantonal vaudois et membre de la CNE. Il s’agit d’un compromis politique entre ceux qui ne voulaient pas entendre parler de procréation médicalement assistée et les partisans d’une vision plus large, sur le modèle anglo-saxon».
Ne pas brûler les étapes
Instituée cet été par le Conseil fédéral, la CNE trouve ici l’occasion de son premier débat. Au mois de juin, deux chercheurs genevois ont demandé le soutien du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) pour importer des embryons des Etats-Unis afin de cultiver des cellules de muscle cardiaque, en vue de soigner éventuellement les séquelles d’un infarctus.
Avant de donner son feu vert, le Fonds a tenu à prendre l’avis de la CNE. D’un point de vue strictement juridique, la question est pourtant déjà réglée. Selon un avis de droit, la loi actuelle, qui n’a pas prévu le cas, ne saurait s’opposer à cette importation. Deux commissions d’éthique ont également donné leur feu vert.
«Malgré cela, il fallait en discuter, estime le professeur Alex Mauron, directeur de l’Unité de recherche et d’enseignement en bioéthique de l’Université de Genève, également membre de la CNE. Bien que notre Commission soit divisée, tout le monde était quand même d’accord pour ne pas créer de fait accompli. Tout le débat est de savoir si cette importation est éthiquement ou politiquement acceptable».
Reste à voir ce que décidera le FNRS, qui doit donner son avis vendredi. La CNE, de son côté, veut relancer le débat, et notamment placer les parlementaires devant leurs responsabilités. Si vraiment la Suisse entend donner un coup de frein à la recherche sur les cellules souches d’embryons humains, ce sera en dernier ressort aux politiques de le dire.
Marc-André Miserez
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