L’armée veut retrouver son aura dans l’économie
L’époque où les cadres de l’économie suisse étaient presque tous de hauts gradés à l’armée est bien révolue. Mais l’armée a amorcé une stratégie de rapprochement pour faire reconnaître ses compétences de conduite par les civils.
«J’en ai franchement un peu marre de devoir justifier le fait que je suis officier de carrière. Il y a eu un temps où les gens se levaient dans un café quand un officiait entrait. Je ne dis pas qu’il faut revenir à cela, mais quand même…»
Michael Aebisegger, responsable du département «assurances choses» auprès de la compagnie Helvetia, ne peut cacher une certaine nostalgie. Pas plus que le commandant de corps André Blattmann, selon qui la «situation économique ne serait pas ce qu’elle est si certains responsables avaient suivi les cinq étapes de résolution des problèmes enseignées à l’armée».
Les deux hommes étaient invités jeudi à Zurich par l’Association suisse d’assurances (ASA), qui regroupe les assureurs privés du pays et qui a décidé de miser «à nouveau davantage sur la formation militaire au commandement.» «Mais non, il ne s’agit pas d’un retour en arrière, a assuré André Blattmann, mais de faire reconnaître nos compétences.»
«Nous nous sommes adaptés aux besoins de l’économie, nous avons réduit la durée de formation d’officier et nous l’avons assouplie», a insisté le chef de l’armée. Les cadres peuvent devenir officier en un an au lieu de deux et s’interrompre plus souvent pour retourner dans leur entreprise.
«En fin de formation, nos cadres reçoivent une belle poignée de mains, précise André Blattmann. Mais sûrement pas des bonus…»
Accord informel
L’entente retrouvée entre le privé – du moins les assureurs pour l’instant – et la défense nationale reste informelle. Aucun accord ni convention de collaboration n’a conclu les discussions.
«Nous envoyons volontiers nos employés suivre des cours de formation de conduite dans l’armée, car nous sommes convaincus que l’on peut faire carrière dans l’entreprise et dans l’armée», affirme Urs Berger, vice-président de l’ASA et directeur général de la compagnie La Mobilière. La formation militaire est soumise aux lignes directrices de l’Association suisse pour la formation des cadres et reconnue par l’économie privée.
Mais comment l’intrication étroite de l’armée avec l’économie avait-elle débouché sur un tel désamour qu’il faille aujourd’hui se rapprocher? «Il est vrai que l’importance des compétences militaires avait diminué chez nous», répond Urs Berger.
«Il y a 30 ans, on disait: ‘il faut absolument grader’ puis, il y a dix ans, ‘il ne faut en aucun cas grader’. Sans tomber dans les extrêmes, nous voulons restaurer la conscience de la valeur de cette formation», poursuit le vice-président de l’ASA.
«Je pense que le changement d’attitude de l’économie est aussi dû au fait que les questions de la sécurité et de l’avenir de notre pays face aux nouveaux risques sont à nouveau plus discutées que juste après la chute du mur de Berlin», relève André Blattmann.
Initiative de l’armée
Le chef de l’armée a commencé il y a deux ans à aller frapper aux portes de l’économie. Il a débuté par les assureurs. Pourquoi eux ? «Nous sommes par essence attachés à la sécurité et à la stabilité», répond Urs Berger.
«Nous avons trouvé rapidement des points communs, ajoute André Blattmann. Et les assureurs ont un rapport naturel à la Suisse. Mais même les banques sont en train d’en reprendre conscience.»
Le commandant de corps est aussi en discussion avec l’industrie des machines, les banques, la chimie et les professionnels du bâtiment. Des «Journées des employeurs» sont organisés pour démontrer «les plus-values d’une formation militaire de haut niveau».
«Décisions plus rapides»
Mais en quoi être officier et s’absenter au moins quatre semaines par année de son travail peut-il profiter à une entreprise? Selon Urs Berger, «les connaissances techniques ne suffisent pas. La personnalité de commandement doit se former. Or la formation militaire permet de commencer très tôt, et de l’exercer en situation concrète, grandeur nature. C’est très profitable pour les jeunes.»
Selon Thomas Renner, responsable des ressources humaines chez Swiss Life et seul interlocuteur à ne pas avoir fait davantage que son service militaire de base, «les officiers prennent des décisions plus rapidement, gèrent mieux les situations de stress et se sont constitués des réseaux au sein de l’armée, ce qui est profitable dans la vie professionnelle».
Chez Swiss Life, 25% des cadres ont une formation militaire. Mais aujourd’hui, ajoute Thomas Renner, «faire carrière dans l’armée n’est plus qu’une option parmi d’autres, et elle arrive souvent en fin de liste des priorités… Les séjours de formation à l’étranger sont souvent plus importants.»
Faut-il en conclure qu’un professionnel de l’assurance qui n’aurait pas gradé trouvera, désormais, plus difficilement un poste chez les assureurs suisses ? «Non, pas du tout», s’écrient en cœur les responsables de Swiss Life et de La Mobilière. Le grade militaire ne sera jamais le seul critère».
Ariane Gigon, swissinfo.ch, Zurich
Au fur et à mesure des réformes de ces dernières décennies, l’armée est passée de 800’000 hommes («Armée 61») à 188’400 (et 14’400 réservistes) à fin 2009, dont 920 femmes (tous grades confondus). Il y a 49’200 officiers, dont 254 femmes.
Cette réduction des effectifs a aussi des conséquences sur le recrutement des cadres de l’armée. L’effet «multiplicateur» naturel n’existe plus.
Dans le même temps, les milieux économiques ont été de plus en plus réticents à laisser partir leurs cadres au moins quatre semaines par année pour servir dans l’armée.
L’internationalisation des grandes sociétés et l’arrivée de managers étrangers, et de femmes, a aussi mis un frein à ce qui était presque un automatisme: «grader à l’armée = faire carrière dans le civil».
Depuis quelques années, l’armée a entrepris de se rapprocher de l’économie privée. Les cours de formation ont été raccourcis et les possibilités d’interruption sont plus nombreuses.
Certains cours de formation supérieure des cadres de l’armée (HKA) sont aussi ouverts aux civils. Les cours ont obtenu une certification reconnue.
Certains stages donnent des points ETCS qui sont reconnus dans des hautes écoles.
Après l’Ecole centrale (ZS) qui est responsable notamment des futurs chefs de section, l’Ecole d’état-major général (GST S) forme les cadres jusqu’à l’échelon brigade.
L’Académie militaire de l’EPF de Zurich (MILAK) forme les officiers de carrière. Les sous-officiers sont formés à l’Ecole de sous-officiers de carrière (BUSA).
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