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«L’avortement ne doit plus être un tabou»

Steve Rhodes on Flickr

La majorité des 10'000 femmes qui choisissent chaque année en Suisse d’interrompre leur grossesse le font tout au début et poussées par des motifs psychosociaux. Comme Simona Isler, à 18 ans, et Doris Agazzi, à 31 ans. Toutes deux ont eu des enfants par la suite.

Depuis l’apparition de la pilule abortive, l’interruption volontaire de grossesse se transforme progressivement d’un acte chirurgical à une médication. En Suisse, les trois-quarts des avortements ont lieu durant les huit premières semaines, si la pilule abortive est efficace. L’année dernière, presque deux tiers des femmes qui ont avorté ont utilisé la pilule abortive, soit 49% de plus par rapport à 2004. Simona Isler a utilisé cette méthode.

«A 18 ans, je suis partie pour une année d’échange en Amérique du Sud et j’en suis revenue enceinte. Ce n’était pas une bonne relation et nous avions déjà rompu au moment où je m’en suis rendu compte. J’en ai parlé à mes parents et à mes amis.»

La jeune femme ajoute que ses parents l’auraient soutenue quelle qu’aurait été sa décision. Ils n’ont exercé aucune pression et l’ont laissée faire son choix seule. «Le plus difficile a été la période entre la découverte de ma grossesse et le moment où j’ai pris ma décision. J’ai beaucoup réfléchi et, finalement, j’ai suivi mon instinct: je ne voulais pas d’enfant.»

Soulagement

«Il y avait un tas d’autres raisons rationnelles pour ne pas devenir mère à ce moment-là, mais je ne pense pas que ce sont celles qui ont compté le plus. Les circonstances peuvent être bonnes et vous décidez quand même d’interrompre la grossesse, ou elles peuvent être mauvaises mais vous décidez d’aller de l’avant.» Pour elle, ce n’était pas une question d’argent ou d’impact sur ses études ou le fait d’être une mère célibataire. Simplement, ce n’était pas le bon moment pour elle de devenir une mère.

«Quand j’ai pris les comprimés à l’hôpital, cela a été un moment de soulagement. Le plus difficile était fait. Je n’ai eu aucune complication et la douleur n’a pas été trop forte. J’ai eu des saignements et l’embryon est sorti, puis je suis restée encore quelques heures. Je n’ai pas eu l’impression d’être jugée par le personnel, je me souviens d’une infirmière qui m’a traitée avec gentillesse.»

Simona Isler a découvert qu’elle pourrait vivre avec son choix. Une de ses amies est aussi revenue enceinte de son année d’échange au même âge qu’elle et a gardé le bébé. «Quand je la voi,s j’y pense, mais je n’ai pas de regrets, peut-être parce que personne ne m’a poussée et que je me suis décidée seule. Je voudrais que mes enfants soient informés un jour de ma première grossesse, je pense que cela ne doit pas être un tabou».

Solidarité

Doris Agazzi, elle, a parlé publiquement de son avortement en 2002, pendant la campagne en faveur de la libéralisation de la loi sur l’avortement. La télévision avait fait un portrait d’elle à l’époque. «Je pense qu’en tant que chrétienne pratiquante, il est important de dire qu’on peut aussi être favorable à l’avortement. C’est une question de solidarité. Je trouve affreux qu’une femme puisse être forcée de porter un enfant dont elle ne veut pas.»

Doris Agazzi était active au sein de sa paroisse. «Il y avait des gens du conseil de paroisse qui venaient vers moi pour me dire ‘je reconnais que vous avez été courageuse, bien que je ne sois pas favorable à ce que vous avez fait’.»

«J’étais consciente que le fait de révéler mon histoire aurait un certain impact sur ma vie mais, dans ma communauté, personne n’a changé d’attitude à mon égard, je n’ai pas été attaquée ou exclue», se rappelle Doris Agazzi. L’hostilité est venue d’ailleurs: «J’ai reçu quelques lettres et courriels désagréables de personnes qui ne pourront jamais changer d’avis. Je ne m’en soucie pas, elles ont le droit d’être contre.»

Sa propre expérience s’est passée à Genève il y a près de trente ans. «La législation y était déjà très libérale. Après avoir eu confirmation de ma grossesse par un gynécologue, j’ai dû aller faire une évaluation chez une psychiatre.» Ensuite, la psychiatre lui a donné à signer son rapport, qui la décrivait comme dépressive et psychiquement vulnérable. «Cela ne correspondait pas du tout à mon état d’esprit et je le lui ai dit. Elle m’a répondu: ‘si vous voulez une autorisation d’avorter, vous devez signer ceci’.» Signer ce document reste le plus mauvais souvenir de toute l’expérience.

A l’époque, son partenaire était parti pour deux mois en voyage en Chine et elle n’avait aucun moyen de le contacter. «J’étais sûre à 99% qu’il serait aussi contre la grossesse, parce que notre relation était sans avenir. Nous n’étions pas ensemble, mais le système en vigueur faisait que je n’avais pas le temps de l’attendre pour décider.»

Doris Agazzi a partagé son expérience avec ses amis proches. «Je n’ai jamais eu honte ou considéré que cela devrait rester un secret, mais je sais que c’est le cas pour beaucoup de femmes. Elles ne peuvent pas parler de ce qu’elles ont fait, de crainte d’être coupées de leur communauté. Ce n’est pas une décision facile, du reste le oui comme le non à une grossesse, mais dire non est la décision la plus importante de sa vie.»

La première loi suisse de 1937, une des plus anciennes d’Europe, interdisait l’avortement sauf au cas où la santé de la femme était en danger. Trois tentatives de révision ont été rejetées par les citoyens dans les années 1970 et 1980, avant la légalisation de l’avortement en 2002.

Auparavant, la législation variait selon les cantons, certains proposant une interprétation plus large englobant une menace pour la santé psychique ou la situation socio-économique.

Selon l’ONU, les pratiques de certains cantons en matière d’avortement figuraient dans les années 1970 parmi les plus libérales d’Europe occidentale, si bien que des femmes venaient souvent d’autres pays pour pratiquer une interruption de grossesse en Suisse.

(Adaptation de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

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