«Le diagnostic d’autisme a bouleversé ma vie»
Il y a deux ans, Gerhard Gaudard, chef de projet informatique, a été diagnostiqué avec le syndrome d'Asperger. Aujourd’hui, il témoigne de sa vie, de son travail, des défis quotidiens qui se présentent à lui, et du secret d'un mariage heureux.
Gerhard Gaudard, 38 ans, a une formation d’informaticien et travaille actuellement à Berne pour la société danoise Specialisterne, dont la majorité des salariés sont atteints d’une forme ou d’une autre d’autisme. Le personnel s’emploie à entrer des données, à programmer des logiciels et à tester des projets. Gerhard Gaudard y travaille huit heures par jour et accomplit quatre fois par semaine le trajet de quarante minutes en train entre Aarau et Berne.
Il est prolixe, amical, drôle et prompt à partager ses expériences, d’où sa décision de tenir un blog consacré à la vie avec le syndrome d’Asperger (voir ci-contre). Seul indice visible de sa maladie: il ne regarde jamais son interlocuteur dans les yeux.
Le syndrome d’Asperger (prononcer avec g dur comme dans «hamburger») est une forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage. Il fait partie des TSA (troubles du spectre autistique).
C’est un désordre du développement d’origine neurobiologique qui concerne plus fréquemment les garçons que les filles et qui affecte essentiellement la manière dont les personnes communiquent et interagissent avec les autres. Il en résulte, pour la personne atteinte, une appréciation confuse de la vie et de l’environnement.
Ce syndrome a été décrit pour la première fois en 1943 par le pédiatre viennois Hans Asperger puis remis en valeur par la psychiatre Lorna Wing en 1981. Il a enfin été reconnu officiellement en 1994 par l’association psychiatrique américaine. En Suisse, il reste largement méconnu.
Caractéristiques: difficultés dans le domaine des relations et des interactions sociales, intérêts restreints, comportements répétitifs et stéréotypés, maladresse motrice, besoin de routine et difficulté d’adaptation aux changements et aux imprévus.
(Source:Asperger-Romandie.ch)
swissinfo.ch: En quoi consiste votre travail?
Gerhard Gaudard: Ma tâche principale est d’assurer que tous nos clients ont du travail, des projets, quelque chose à faire. Je m’occupe aussi de l’appui technique et je fais toutes les réparations. Et puis, je dois préparer des concepts et des idées pour de nouveaux projets et les négocier avec les clients. Habituellement, huit heures par jour n’y suffisent pas!
swissinfo.ch: Aimez-vous ce que vous faites?
G.G.: Oui, beaucoup. Pour moi, c’est comme d’avoir gagné le gros lot. Pouvoir travailler avec le syndrome d’Asperger, avec et pour des gens qui en sont également atteints, cela n’arrive qu’une fois dans une vie.
swissinfo.ch: Vous avez passé presque vingt ans à travailler pour des entreprises «normales». Comment l’avez-vous vécu?
G.G.: Il y a deux ans, on m’a annoncé que j’étais Asperger. Avant, je ne savais pas ce que c’était et presque toute ma vie professionnelle a été une catastrophe. Maintenant, je sais que c’est parce que je ne comprenais pas les autres et ce qu’ils voulaient. Parfois, c’était un peu ‘hire and fire’ [on embauche et on vire, Ndlr].
swissinfo.ch: Le diagnostic doit avoir changé votre vie?
G.G.: Il a bouleversé ma vie. J’ai dû recommencer complètement à zéro. J’ai dû réfléchir au genre de travail que je pourrais faire, où je pourrais travailler, comment organiser ma vie privée, mon partenariat, tout. C’était beaucoup de travail.
swissinfo.ch: Qu’est-ce qui est le plus difficile pour quelqu’un comme vous dans la vie de tous les jours?
G.G.: Nous avons besoin d’une routine et chaque jour doit être pareil. Si quelque chose change, c’est horrible. Par exemple, hier j’ai dû aller à Zurich voir un client. On m’en avait prévenu la semaine dernière et j’ai donc passé quatre jours à réfléchir comment y aller, à quelle heure je devrais arriver et de quoi nous devrions discuter. J’ai dû y penser pendant quatre jours parce que c’était un changement.
swissinfo.ch: L’atmosphère de travail a l’air d’être bonne. Qu’en pensez-vous?
G.G.: Si Thomas [van der Stad, le PDG de Specialisterne] dit qu’elle est bonne, c’est qu’elle est bonne. Pour moi, il n’y a pas d’atmosphère. Je ne sais pas ce que c’est. Je ne peux pas la ressentir ou la voir. C’est quelque chose comme un filtre qui m’empêche de voir les émotions. Je ne vois rien. Je ne vois pas non plus les visages. C’est presque comme si j’étais aveugle. C’est pourquoi je ne peux pas répondre à cette question.
swissinfo.ch: Pourquoi avez-vous commencé à écrire un blog?
G.G.: Pour une raison bien simple: quand j’ai été diagnostiqué Asperger, j’ai commencé par chercher sur Internet des forums, des sites Web et des informations parce que j’avais besoin de savoir ce que c’était. Puis je suis tombé sur un forum, je me suis connecté, j’ai lu ce qui était écrit et j’ai commencé à communiquer avec des gens.
Une personne m’a alors écrit en disant que j’étais un imbécile, que j’avais complètement tort et cetera. C’était une mère neurotypique [terme utilisé par beaucoup d’autistes pour parler des non-autistes, Ndlr.]. J’ai pensé ‘bon sang, ce forum est fait pour les gens qui ont l’Asperger, pas pour des mères qui ne l’ont pas’, j’étais vraiment très énervé.
Alors j’ai eu l’idée d’écrire un blog. Mais comment? C’est possible avec Google et cela a même été très facile de me lancer. Sans avoir un quelconque concept, j’ai simplement commencé à écrire. C’est une petite ‘success story’: j’arrive à 3500 clics par mois dans le monde entier.
swissinfo.ch: La majorité de vos lecteurs sont-ils Asperger?
G.G.: Je dirais la moitié. Quelques personnes écrivent et disent ‘mon partenaire est Asperger, merci d’avoir écrit cet article’. D’autres écrivent ‘je suis aussi Asperger, quelqu’un me comprend, je pensais être le seul au monde’.
swissinfo.ch: Avez-vous beaucoup de loisirs? J’imagine que le cinéma, par exemple, c’est difficile si vous ne pouvez pas percevoir les émotions…
G.G.: Et bien le cinéma est un de mes passe-temps favoris! Les films d’action sont parfaits pour moi. J’aime aussi la science-fiction. Mais les comédies, les drames, les histoires d’amour, tous ces trucs neurotypiques, je ne le comprends pas! C’est comme une langue étrangère.
J’aime aussi les livres et les films documentaires. Et la musique: j’ai joué de la guitare électrique pendant environ dix ans. Du métal. Les Iron Maiden sont le meilleur groupe du monde!
swissinfo.ch: Si vous aimez lire, pouvez-vous imaginer écrire un livre?
G.G.: Certainement. J’ai en tête un projet de transformer mon blog en livre.
swissinfo.ch: Rencontrez-vous et vous réunissez-vous avec d’autres personnes atteintes d’Asperger?
G.G.: Non. J’en vois suffisamment pendant la journée. Sur mon étage, il n’y a que ça. Dans ma vie privée je n’ai aucun contact avec eux. Je n’ai du reste presque aucun contact avec les autres en général, sauf avec ma femme.
swissinfo.ch: Est-elle autiste elle aussi?
G.G.: Non. Elle a dû apprendre beaucoup de choses. Mais une fois qu’elle s’est informée sur le sujet, elle a dit ‘bon, c’est ce que tu as, ça m’est égal, je t’aime comme tu es et s’il y a quelque chose que je ne comprends pas, je te demanderai’.
Nous sommes ensemble depuis presque une année. Un de nos secrets, c’est que nous ne vivons pas ensemble: elle vit ici, près de Berne, et moi je vis près d’Aarau. Auparavant, j’ai été avec quelqu’un pendant onze ans, dont presque dix en cohabitation. Quand j’ai été diagnostiqué, elle est partie en disant qu’elle ne pourrait pas vivre avec moi en sachant que je ne pouvais pas apprendre les choses qui étaient importantes pour elle. J’ai dû m’y faire et c’est pourquoi j’ai dit à ma femme dès le départ que j’étais Asperger.
Maintenant, avec mon travail et avec ma femme, j’ai tiré le gros lot! Pour moi c’est le dosage parfait pour équilibrer vie professionnelle et vie privée.
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)
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