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Le journal d’un aristocrate dans la guerre

Guy de Pourtalès (à gauche) sur le champ de bataille d'Ypres en janvier 1919. editionszoe.ch

Dans Journal de la Guerre, l’écrivain neuchâtelois Guy de Pourtalès raconte son engagement dans la Grande guerre côté français, alors qu’une partie de cette famille de la haute bourgeoisie penche coté prussien. Un éclairage intéressant sur un parcours hors norme, entre front et arrière.


2 août 1914. La mobilisation générale est décrétée en France. Guy de Pourtalès file à Chartres où l’attend le 102régiment d’infanterie. La caserne affichant complet, l’écrivain, qui va avoir 33 ans, s’installe à l’hôtel du Grand-Monarque. Là, un ami officier lui suggère de s’engager comme automobiliste. Pourtalès achète séance tenante une Hupmobile à lancement électrique. Et se met au service d’un commandant conciliant, qui accepte les libertés que l’écrivain prend avec le régime militaire.

 «D’une certaine manière, Guy de Pourtalès entend mener sa guerre, visant des postes valorisants, qui nourrissent sa curiosité et exaltent son patriotisme, écrit Stéphane Pétermann dans sa présentation du Journal de la Guerre publié aux éditions ZoéLien externe. Une guerre où intérêt privé et enjeu national se mêlent sans distinction.»

Colloque à Lausanne

A l’occasion de la sortie de presse du « Journal de la Guerre » de Guy de Pourtalès (Editions Zoé), le Centre de recherches sur les lettres romandes et la Section d’histoire de l’Université de Lausanne organise une journéeLien externe d’étude sur la Suisse et la Grande Guerre le 11 novembre 2014.

L’engagement de Guy de Pourtalès côté français n’allait pas de soi. Né à Berlin en 1881, il grandit entre Genève et Neuchâtel où sa famille est installée depuis plusieurs décennies. Les attaches germaniques sont puissantes. Son père a combattu côté prussien pendant la guerre de 1870. Ses frères, Raymond et Horace, poursuivent cette tradition en devenant officiers de la Garde prussienne au début du XXe siècle, tandis que deux de ses sœurs épousent des officiers prussiens.

Naturalisé en 1912

Mercenaires ? Personne, en Suisse, ne s’étonne alors de ce service étranger, surtout à Neuchâtel, sous tutelle prussienne jusqu’en 1848. Dans cette famille de la grande bourgeoisie aux attaches multiples, Guy choisit la France, terre de ses ancêtres huguenots. Il habite Paris, épouse une protestante française, Hélène Marcuard, et se fait naturaliser en 1912.

Quand Guy opte pour la France, son frère Horace est mobilisé en Suisse. Et «seule la mort prématurée de Raymond, en juillet 1914, empêchera que Guy et son frère ne combattent dans des camps opposés», note Stéphane Pétermann.

D’abord automobiliste, puis interprète auprès des troupes britanniques, Pourtalès n’est ni au front ni à l’arrière, mais dans une position intermédiaire, qui lui permet de vivre la guerre en observateur, en électron libre.

C’est seulement en janvier 1915, près d’Armentières, qu’il découvre le front. «Là-bas, derrière une rangée d’arbres, sont les Boches, ces fameux Boches !! (…) La guerre donc, cette fois. Je me sens impressionnable à l’excès et, d’ailleurs, impressionné ; mais nulle trace de peur.»

Les Pourtalès sont écartelés par la guerre, mais les relations restent cordiales. En septembre 1914, Guy s’amuse de cette situation invraisemblable – son beau-frère Otto von Mitzlaff, officier des Uhlans de la Garde, occupe la Lorraine française. «Otto envoie du 4 septembre de bonnes nouvelles de sa petite personne de Nancy !! De Nancy !! Ce doit être une bonne blague allemande ! »

Atteint par les gaz ?

En avril 1915, les Allemands déclenchent une attaque aux gaz sur la région d’Ypres. Stationné à Armentières, Pourtalès s’approche, par curiosité, de la zone de combat. Le surlendemain, il se sent mal. Atteint d’une pleurésie, qu’il attribue aux gaz. «Je n’aurais pas dû aller à Poperinghe», écrit-il dans son journal. L’hypothèse, «pas vraisemblable» selon Pétermann, lui vaudra d’être décoré de la Croix de Guerre.

En février 1916, Pourtalès obtiens enfin le poste diplomatique qu’il convoitait de longue date : la propagande française en Suisse. Parmi ses activités, il gère la Tribune de Genève, rachetée en secret par la France pour en faire un instrument de propagande.

Une mission d’agent secret, ou presque. Quand, en janvier 1917, Edmond Privat – correspondant en Autriche de la Tribune de Genève – signe des articles «austrophiles», Pourtalès règle son cas à Genève avec le directeur du journal, Edouard Bauty : «A 7h, après deux heures de diplomatie (car Bauty ne se doute pas que j’ai le droite de parler en maître, et il ne faut pas qu’il s’en doute !…) j’obtiens gain de cause. C’est-à-dire : cessation complète de la correspondance Privat.»

Renvoyé pour ses attaches allemandes

Les attaches suisses et surtout allemandes de Pourtalès écourtent la carrière du diplomate. Arrivé au pouvoir fin 1917, Georges Clemenceau ne peut se permettre la moindre fausse note. Pourtalès est démis de ses fonctions. «On ne me reproche aucune faute de service, aucun insuccès, aucune erreur. Simplement : d’être le frère de mes sœurs et le cousin de Fritz de Portales !!», déplore l’écrivain.

«La carte de ses ramifications familiales ne coïncidait plus avec celle des alliances européennes», résume bien Denis de Rougemont, dans une émission de la Télévision suisse romande des années 1970.

Pourtalès termine sa guerre comme officier guidant les journalistes américains dans la Rhénanie occupée par les Français. Affaibli physiquement, mais «enrichi» par une guerre aux multiples facettes, Pourtalès puisera dans cette aventure pour écrire son maître-ouvrage, La Pêche miraculeuse. 

Romancier et biographe

Né à Berlin en 1881, Guy de Pourtalès passe son enfance et sa jeunesse à Genève, Vevey et Neuchâtel. En 1905, il se fixe à Paris, tout en gardant avec la Suisse des liens de famille et d’amitié.

La publication de La cendre et la flamme (1910) et de Solitudes (1913), ses collaborations à la Revue hebdomadaire et la fondation de la Société littéraire de France l’engagent dans la carrière littéraire.

Les rives du Léman sont le cadre de ses trois romans: Marins d’eau douce (1919), Montclar (1926), La pêche miraculeuse (grand prix du roman de l’Académie française en 1937).

Il signe aussi des vies de Liszt, Chopin, Wagner et Berlioz. Gravement atteint dans sa santé, c’est de Suisse qu’il assiste aux débuts de la Deuxième Guerre mondiale; la défaite de la France et la mort de son fils, Raymond, tombé sur le front de Flandre, hâtèrent sa fin.

Source : DHSLien externe

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