Ces Allemands qui espionnaient la Suisse
Durant la Guerre Froide, les espions d'Allemagne de l'Est ont certes espionné la Suisse, mais sans infiltrer l'armée, affirme Peter Veleff dans son livre.
L’ancien juge d’instruction zurichois révèle aussi que Berlin-Est était persuadé que la Suisse resterait neutre en cas de guerre Est-Ouest.
Pour la première fois, l’activité en Suisse des agents secrets de l’ex-Allemagne communiste fait l’objet d’une analyse systématique.
C’est un événement car en 2001, le Parlement suisse avait refusé de charger un expert indépendant de s’occuper de la question. L’examen d’un chapitre palpitant de l’histoire de la Suisse pendant la Guerre Froide risquait ainsi de ne pas être traité avant longtemps.
Une étude approfondie
L’étude, qui vient de paraître sous le titre «La Suisse pays-cible? Les services secrets de la RDA et leurs activités en Suisse», est d’autant plus intéressante que Peter Veleff ne s’est pas contenté d’éplucher les archives de l’ex-RDA. Il s’est aussi entretenu longuement et à plusieurs reprises avec les plus hauts responsables des ex services de renseignements est-allemands.
Principale conclusion: l’Allemagne de l’Est a certes espionné la Suisse aussi bien qu’elle l’a pu, sur une assez grande échelle et jusqu’au dernier moment. Mais elle n’est jamais parvenue à infiltrer sérieusement les rouages de l’administration ou de l’armée.
Plaque tournante
D’autre part, l’objectif des espions est-allemands n’était pas la préparation d’éventuelles opérations militaires dirigées contre la Suisse.
En cas d’aggravation des tensions ou en cas de guerre Est-Ouest, la Suisse aurait par contre joué, selon les plans de la RDA, un rôle non négligeable comme centre d’observation, pays refuge pour des agents et base d’opérations de renseignement dirigées contre l’OTAN..
L’essentiel, selon Veleff, était d’ailleurs d’en apprendre davantage à partir de la Suisse sur «l’ennemi potentiel», les pays de l’OTAN. En particulier l’Allemagne fédérale ou la France.
Un centre d’espionnage
L’espion en chef de Berne, installé à l’Ambassade de RDA en Suisse, dépendait d’ailleurs de l’agent responsable pour la France.
Plusieurs fois, Veleff affirme à cet égard que les services secrets de la RDA seraient toujours partis de l’idée qu’en cas de guerre, la Suisse resterait neutre. Avec pour conséquence que son territoire pourrait ainsi servir de centrale internationale d’espionnage au profit des pays communistes.
Arrestation de Hans et Gisela Wolf
A noter que plusieurs actions préparatoires liées à cette option ont été contrecarrées par la Suisse. Veleff fournit à ce propos des détails inédits sur l’affaire, très médiatisée à l’époque, du couple d’espions est-allemands Wolf.
Chargés de mettre sur pied en Suisse un réseau radio clandestin pour les services d’espionnage de l’armée de la RDA, Hans et Gisela Wolf avaient été arrêtés près de Zurich en 1973. Et condamnés en 1975 pour espionnage à 7 ans de réclusion.
Un empire commercial
L’autre grand domaine d’activités dans lequel beaucoup d’agents est-allemands ont travaillé clandestinement en Suisse pendant la Guerre Froide était de nature économique et technologique.
Il s’agissait pour la RDA de réduire à tout prix l’énorme déficit technique, scientifique et industriel accusé par le pays dans certains secteurs de pointe comme par exemple l’informatique.
Il s’agissait aussi – et les deux allaient souvent de pair – de se procurer des matières ou des équipements d’importance stratégique (par exemple certains types d’ordinateurs) dont l’acquisition par un pays communiste était théoriquement impossible.
Pour arriver à ses fins – et parallèlement à ses opérations d’espionnage industriel – la RDA avait mis sur pied en Suisse un véritable empire commercial et financier à l’intérieur duquel les méthodes capitalistes et mafieuses – et la collaboration bienvenue de banquiers suisses – étaient très éloignées de l’orthodoxie marxiste-léniniste…
swissinfo, Michel Walter
Peter Veleff, «Spionageziel Schweiz? Die Geheimdienste der DDR und deren Aktivitäten in der Schweiz», Orell Füssli, 288 p, en allemand.
Depuis la chute du mur de Berlin, les relations entre la Suisse et l’ancienne RDA ont fait l’objet de plusieurs interventions au parlement fédéral.
Des députés de tous bords ont demandé des indemnisations pour les Suisses dont les biens ont été nationalisés par l’ancien régime communiste, la saisie des avoirs que ses dignitaires avaient déposés en Suisse et des éclaircissements sur les activités des espions est-allemands en Suisse durant la Guerre Froide.
Concernant ce dernier point, le gouvernement a jugé qu’une étude historique sur le sujet ne faisait pas partie des tâches prioritaires de l’Etat. Le parlement l’a suivi en 2001.
C’est donc un chercheur privé, Peter Veleff, qui s’est chargé de cette tâche.
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