Radiographie d’un mouvement anti-guerre
Répondant à l'appel de 120 organisations de gauche, quelque 40 000 Suisses sont descendus dans les rues de Berne samedi.
La manifestation a attiré des militants de gauche, mais aussi de simples citoyens hostiles à la guerre. Inouï depuis vingt ans.
Les manifestations monstres du week-end, qui ont mobilisé quelque dix millions de manifestants de par le monde, rappellent les mouvements hostiles à la guerre du Vietnam des années 1970.
En Suisse non plus, on n’avait pas vu cela depuis les manifestations opposées à l’installation des missiles Pershing américains en Europe en 1983.
Mais qui sont ces citoyens qui, la plupart du temps, se montrent plutôt placides? Pour ce qui est des militants d’organisations comme Amnesty International, la Déclaration de Berne ou les syndicats, la question ne se pose pas.
Comme pour Pascal Herren, coordinateur de la campagne suisse d’Amnesty International: «Nous ne prendrons jamais position en faveur de l’usage de la force».
Mais il y a aussi tous ceux qui ont répondu à l’appel de ces organisations mais qui n’en partagent pas forcément toutes les idées.
La Suisse, est-il besoin de le rappeler, est détentrice des Conventions de Genève sur le droit humanitaire en cas de conflit. Voilà qui alimente certainement le pacifisme des Suisses. Et, peut-être, le fait qu’ils formaient autrefois un peuple de mercenaires.
Solidarité plutôt qu’anti-américanisme
Pour Marie-Hélène Miauton, directrice de l’institut de sondages MIS-Trend, les Suisses se sont montrés solidaires. «Les manifestants ont montré qu’ils partagent le sentiment d’une guerre injuste qui s’exprime dans le monde entier.»
Ils se sont montré aussi «européens». «Il y a une envie de solidarité avec ceux qui sont plus directement concernés, c’est à dire l’Europe en train de se construire politiquement dans ce refus de la guerre», poursuit Mme Miauton.
Les Suisses sont-ils devenus pour autant anti-Américains? Il ne faut pas oublier l’amertume provoquée ici par l’affaire des biens en déshérence et les attaques américaines contre l’attitude de la Suisse pendant la Deuxième guerre mondiale.
Réponse de Marie-Thérèse Miauton: «Cette affaire a bien sûr laissé des traces certaines et durables au sein de la population.
Mais c’est plutôt un sentiment d’humiliation qui n’a rien à voir avec l’anti-américanisme – voire l’anti-capitalisme – des groupes pacifistes et de la gauche qui ont appelé à manifester.»
Pour Claude Frey (PRD/NE), membre de la commission de politique extérieure du Conseil national, «il y a ceux qui veulent éviter le conflit mais accepteraient un conflit si aucune solution n’est trouvée. Et puis il y a les pacifistes qui veulent empêcher la guerre à tout prix.»
Et le député radical d’ajouter: «A ceux-là, je réponds que le statu quo, qui a fait plus d’un million de morts en douze ans et laisse en place un criminel de guerre qui affame son peuple, n’est pas satisfaisant.»
Juger Saddam comme Milosevic?
Faut-il, alors, traduire en justice le chef de l’Etat irakien comme l’ex-président de feue la Yougoslavie?
Pascal Herren choisit de répondre par l’ironie: «Cela fait vingt ans que nous dénonçons les excès du régime irakien. Nous sommes quelque peu surpris de voir l’administration américaine ressortir de ses tiroirs ces dossiers qu’elle avait si soigneusement oublié pendant les années quatre-vingt!»
Marie-Hélène Miauton va dans la même direction: «Beaucoup de gens ont l’impression qu’il y a partout des dictateurs. Selon le camp dans lequel ils se trouvent, on les soutient ou on les répudie – ou les deux, comme Saddam Hussein, qui avait d’abord été soutenu par les Américains.»
Alors, pourquoi punir celui-là plutôt qu’un autre? Et puis, il y a le problème de l’ingérence. Jusqu’ou peut-on décider pour un peuple que son gouvernement est ou non une dictature? La réponse n’est pas facile.
Claude Frey, lui, balaie cette hypothèse: «Les Etats-Unis ne reconnaissant pas la Cour pénale internationale, ce ne sont pas eux qui vont prendre l’initiative de le faire juger.»
A la Commission internationale des juristes démocrates, Rudolf Schaller va dans le même sens. «Un jugement est impossible puisqu’il faudrait livrer Saddam Hussein, et donc aller le chercher chez lui.»
Mais le président de la section Europe de la Commission avance un argument de juriste.
En admettant que la Cour pénale internationale soit en mesure de fonctionner «il faudra, dit-il, élaborer des lois et mener l’enquête, sinon, les procès ne seraient pas équitables et seraient assimilables à des actions purement politiques».
Jusqu’ici l’expérience du Tribunal pénal international a montré que cette cour n’a aucun effet dissuasif sur les dictateurs et autres criminels de guerre. Pour Rudolf Schaller, «les statistiques montrent qu’il est impossible de prévenir les crimes contre l’humanité».
Pour ce qui est de Saddam Hussein, il serait contraire à la légalité de l’inculper aujourd’hui.
«Contrairement à la guerre du Golfe en 1991, cette fois-ci l’Irak n’a envahi aucun Etat. Il n’est donc pas coupable d’agression», conclut le juriste démocrate.
swissinfo, Isabelle Eichenberger
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